Laïcs Missionnaries Comboniens

Accueillir les nouveaux paradigmes et les défis de la mission

Paradigma-missione

En reprenant la vision du Concile Vatican II, le pape François a choisi le paradigme de “l’Eglise en sortie” comme programme missionnaire de notre temps. Cette reprise est significative parce qu’elle est contextualisée dans un monde, le nôtre d’aujourd’hui, qui est dans une grande discontinuité avec le passé. “Nous ne vivons pas dans une époque de changements, mais dans un changement d’époque”: par ces mots, le pape François nous a rappelé que les vieux schémas par lesquels nous interprétions le monde et la mission ne sont plus efficaces pour répondre aux défis d’aujourd’hui. La nouvelle réalité globale exige “une mission globale”, considérée dans toute sa complexité et avec des présupposés, un style et des instruments renouvelés par rapport à la tradition du passé (EG 33).

Le schéma classique qui voyait les Eglises du Nord envoyer des missionnaires dans le Sud du monde a été dépassé par les transformations des dernières décennies, avec la globalisation et une mobilité humaine qui ont atteint des niveaux jamais vus auparavant. Aussi les circonscriptions comboniennes reflètent ce changement: dans la composition de leur personnel, dans l’envoi des missionnaires vers d’autres provinces, dans le fait que l’animation missionnaire est un engagement présent partout et non plus un domaine de service exclusif des provinces du Nord du monde.

Le critère géographique de la mission ne constitue plus le point de référence principal. Reste l’idée de frontière, mais celle-ci maintenant se qualifie dans les périphéries humaines et existentielles. C’est un grand défi pour les instituts missionnaires dont la majorité des membres d’aujourd’hui a probablement adhéré à son institut en identifiant la mission avec une zone géographique particulière. Il y a un lien affectif avec la géographie et l’histoire; la notion de “mission globale” suscite quelques malaises, la crainte de se voir ‘bloqués’ dans le Nord du monde ou dans sa province d’origine à cause de l’idée que la “mission est partout”, ou “en Europe aussi”. En réalité cette préoccupation – compréhensible et justifiée – reflète encore le schéma géographique, qui, comme nous le disions, a été dépassé. Comment alors penser d’une manière alternative, qui réponde davantage aux réalités d’aujourd’hui?

Le Pape François nous invite à partir des frontières, les “périphéries qui ont besoin de la lumière de l’Evangile” (EG 20). Celles-ci ne sont pas simplement une donnée géographique, mais le résultat d’un système économique et financier qui engendre l’exclusion, de la culture des déchets qui produit l’appauvrissement et la violence. Porter la lumière de l’Evangile dans ces périphéries demande avant tout l’insertion, c’est-à-dire:

  • une présence enracinée sur le territoire;
  • une implication dans la vie quotidienne des personnes;
  • la solidarité avec leurs souffrances et leurs instances;
  • accompagner cette humanité tout au long de tous ses processus, aussi longs et prolongés qu’ils soient.

Ici se trouve la clé de l’approche ministériel: cet accompagnement n’est pas générique, il ne s’agit pas d’une pastorale ordinaire portée dans les périphéries. Au Chapitre Général de 2015 on a vu que nous sommes présents, insérés dans quelques périphéries très significatives selon notre charisme, par exemple parmi les afro-descendants et les peuples indigènes de l’Amérique Latine, ou parmi les populations de pasteurs et les habitants des bidonvilles en Afrique. Mais souvent il n’y a pas une pastorale spécifique qui tient compte de la particularité du contexte, des situations, de la culture locale, de l’unicité de ce peuple-là. Une pastorale qui, dans la complexité du monde d’aujourd’hui, exige l’articulation de plusieurs ministères et une évangélisation comme œuvre de la communauté. Des communautés apostoliques qui non seulement collaborent en identifiant ses propres dons, mais aussi qui témoignent du Règne de Dieu en vivant la fraternité et la communion dans la diversité.

Tous ces éléments ne sont pas ‘nouveaux’; pris en eux-mêmes, ils peuvent déjà se trouver dans différentes expériences de notre Institut et on en a déjà parlé dans plusieurs Chapitres. Mais nous sommes appelés à les assumer dans une perspective nouvelle, ou comme un paradigme, c’est-à-dire un point de vue sur la mission qui en réorganise tous les aspects fondamentaux. L’image de “l’Eglise en sortie” est une icône qui suggère une idée de mission et une méthodologie pastorale (prendre l’initiative, s’impliquer, accompagner, fructifier, fêter, EG 24). Elle est paradigmatique, parce qu’elle demande qu’aussi d’autres dimensions fondamentales, comme la formation et l’organisation de notre Institut, deviennent cohérentes et finalisées à cette mission.

A ce point, comment pouvons-nous accueillir en pratique ce paradigme et quels sont les défis que nous devons affronter? Le Chapitre nous suggère de commencer par la mission, en partant de l’identification des priorités continentales, partagées par plusieurs circonscriptions et vécues avec une collaboration plus étendue, au niveau interprovincial ou continental. Dans le contexte de ces priorités, nous sommes appelés à développer des pastorales spécifiques pour requalifier notre présence et notre service missionnaire. En tenant ferme ce point central, nous aurons un point de référence pour repenser aussi notre formation et la réorganisation de notre Institut.

  1. Développer des pastorales spécifiques

Développer une pastorale spécifique est une tâche ecclésiale qu’on ne peut pas faire seuls. Cela demande dialogue, participation, collaboration, pluralité des compétences et des expériences. Surtout est nécessaire une méthode qui permette de valoriser tous les apports, d’accueillir les expériences et les perspectives différentes et de créer la communion dans la diversité. Una pastorale spécifique est assumée quand, malgré la diversité des points de vue, des perspectives théologiques, de sensibilité et des ministères, tous peuvent s’y reconnaître sans perdre leur identité. Ce point a une importance fondamentale, surtout pour un Institut qui est en train de grandir dans l’internationalité et qui commence à vivre le défi de l’interculturalité.

Tout cela est possible à partir du partage depuis la base des expériences les plus transformatrices par rapport à la pastorale spécifique prise en considération avec une approche de “Appreciative Inquiry”. La réflexion commune sur ces expériences régénératrices fait naître de nouvelles intuitions et compréhensions de ce qui fait devenir fructueux un ministère dans ce contexte précis.

Pour mieux en comprendre la raison de l’efficacité et pour en approfondir les dynamiques, ces expériences doivent être confrontées avec une analyse socioculturelle des contextes de la pastorale spécifique, pour en saisir le cadre d’ensemble, ses dynamiques et ses tendances.

D’une manière analogue, une réflexion théologique et ministérielle spécifique sur cette réalité nous aide à mieux focaliser nos ministères et à identifier les instruments opérationnels les plus adaptés.

Le passage suivant est celui du discernement participé de quelques principes qui peuvent nous guider dans un contexte pastoral spécifique. Justement parce qu’elles sont des lignes guides, ils ne donnent pas des solutions fabriquées à priori, mais ils laissent l’espace pour s’adapter à des situations particulières et pour la créativité. Sur cette base il sera possible de construire un chemin de communion où expérimenter, rechercher, apprendre, partager, échanger des expériences et des personnes, documenter des découvertes et des résultats, et ainsi de suite, dans des cycles continus d’action-réflexion (Action Learning).

  1. La réorganisation

Pour arriver à développer et à soutenir des pastorales spécifiques, il est nécessaire d’arriver graduellement à réorganiser nos présences et notre manière d’opérer. Jusqu’à maintenant notre présence missionnaire a été fondée essentiellement sur le critère géographique: les confrères sont affectés à une province et ensuite, selon les besoins, ils sont envoyés dans une communauté. Cette structure reflète le présupposé que – au-delà de quelques services particuliers – généralement le travail missionnaire consiste dans la fondation ou le développement jusqu’à leur maturité des communautés chrétiennes ou des paroisses. Mais celle-ci n’est pas l’unique manière de penser l’organisation du travail missionnaire.

Par exemple, les Jésuites, depuis quelques décennies, ont commencé à penser leur service missionnaire aussi comme une réponse aux besoins humaines des réfugiés (JRS), des personnes affectées par le SIDA (AJAN), et aux situations d’injustice (centres de foi-justice – Faith-justice). Les personnes sont préparées de manière adéquate et affectées à ces services.

Au cours des années récentes, aussi l’Institut combonien a commencé une réflexion sur l’approche ministérielle, en regardant en particulier quelques groupes humains qui subissent l’exclusion et à des ministères dans des domaines prioritaires (AC ’03 n. 43 e 50; AC ’09 n. 62-63; AC ’15 n. 45). Certainement l’élément géographique ne peut pas être mis de côté, aussi pour le fait que ces groupes humains sont situés dans l’espace, l’insertion dans l’Eglise locale exige aussi une présence paroissiale, mais le critère de référence est le ministère spécifique en faveur de ces peuples, ce qui demande:

  1. Des équipes pastorales. Elles sont composées par différents ministres, avec des compétences spécifiques et une variété de dons personnels, qui collaborent comme équipe. Etant donnée la complexité du monde d’aujourd’hui, il est opportun de mettre ensemble des compétences de genre différent, y compris par exemple celles qui viennent des sciences humaines et sociales. La diversité des compétences est une aide pour la collaboration; la différence des nationalités et des cultures à l’intérieur de l’équipe, vécue dans la fraternité, sont un signe prophétique dans un monde toujours plus divisé et conflictuel. Cette communion/solidarité est ce qui caractérise une équipe pastorale, qui n’est pas seulement une équipe de travail unie et efficace, mais une fraternité de disciples-missionnaires. Evidemment, des communautés qui ont un nombre moyennement élevé de membres auront plus de possibilités d’être significatives, pouvant mettre ensemble des compétences et des ministères complémentaires et transversaux (par exemple JPIC), mieux absorber les absences à cause de congé ou pour des raisons de santé, développer une réflexion plus riche et partager des compétences et des ressources avec d’autres communautés engagées dans la même pastorale spécifique. Cela demande la réduction du nombre de communautés, mais cela facilite le travail en réseau, du niveau local au niveau interprovincial.
  2. Travailler en réseau. L’équipe pastorale ne travaille pas dans l’isolement, mais avant tout elle est insérée et elle collabore avec l’Eglise locale. Elle va aussi plus loin, en coopérant avec différentes composantes de la société civile pour une transformation sociale inspirée par les valeurs du Règne. Il y a aussi d’autres niveaux de collaboration que l’expérience nous signale comme critiques: par exemple faire réseau avec d’autres communautés et des équipes ministérielles, soit au niveau régional soit au niveau international. Sans ce support et une impulsion continue vers l’ouverture et la croissance, pour l’échange et le partage des ressources, une équipe locale se trouvera bientôt sans oxygène. Surtout pour ce qui concerne la recherche, l’expérimentation, l’apprentissage continu et la réflexion sur les bonnes pratiques et l’innovation. Le monde continue à se déplacer, tandis que l’équipe risque de s’arrêter et de se fossiliser, ou de réagir face aux situations au lieu d’y répondre avec créativité.
  3. Des structures de soutien. Les différentes équipes engagées dans la même pastorale spécifique au niveau local ont besoin de structures de liaison et de soutien. Cela serait aussi le contexte le meilleur pour proposer des parcours de formation permanente, de recherche et d’expérimentation, pour mieux accompagner les personnes dans leur chemin d’inclusion et de transformation. La collaboration avec des institutions académiques et de recherche, par exemple, peut devenir une ressource utile, et aussi celle de secrétariats spécifiques et des processus de recherche et d’action participée. Il faut aussi repenser les structures dans lesquelles nous vivons ou que nous administrons dans notre ministère. Celles-ci en effet peuvent poser une certaine distance entre les personnes et les missionnaires, ou aussi les absorber tellement dans leur administration qu’ils perdent le contact direct avec les personnes ou la disponibilité à côté d’elles. Il faut aussi remarquer que le Fonds Commun Total est une opportunité qui peut nous aider à faire un programme participé et qui responsabilise dans le contexte d’une pastorale spécifique au niveau provincial. La dimension économique, en effet, concerne le choix des styles, des moyens, de la coopération et du programme d’un secteur pastoral, avec lequel interagissent les projets communautaires. Enfin la réduction et la requalification des présences et des services missionnaires demandées par le dernier Chapitre Général deviendront une réalité si nous aurons les instruments et la méthode pour les réaliser à travers des chemins de communion, inclusifs et participés. C’est là que se joue l’efficacité d’un leadership qui n’est pas seulement administratif, mais qui nous conduit vers un nouveau printemps.
  1. Une formation adéquate

Aussi la formation de base doit être revue pour développer des compétences ministérielles, surtout pour ce qui concerne le curriculum des scolastiques. Les programmes de théologie, qui généralement offrent une préparation théologique académique, ne forment pas nécessairement des attitudes et des compétences utiles pour l’approche ministérielle et n’offrent pas le soutien, les méthodologies et les instruments pratiques qui pourraient être utiles pour une pastorale spécifique. Et nous savons bien qu’un curriculum d’études est d’autant plus utile s’il va à l’encontre des choix des ministères spécifiques de notre Institut. On pourrait pourtant penser à la possibilité de qualifier la formation dans les scolasticats avec des orientations cohérentes avec les priorités ministérielles du continent où ils se trouvent. Même si un confrère se trouvera à travailler dans des contextes différents, il aura la possibilité d’y transférer les compétences ministérielles acquises qui constitueront une base meilleure pour en apprendre de nouvelles.

En conclusion, accueillir le nouveau paradigme de la mission ne signifie pas jeter à la poubelle le passé pour introduire seulement des choses complétement nouvelles. Il s’agit plutôt de réorienter et d’intégrer les différents aspects de la vie et du service missionnaire (pastorales spécifiques, personnes, réorganisation, économie) autour de la vision de mission indiquée par le Chapitre et des processus participatifs de requalification de nos présences et du service missionnaire.
Fr. Alberto Parise mccj

Questions

  1. Pour développer des pastorales spécifiques une lecture approfondie de la réalité est nécessaire. Est-ce que c’est une pratique commune (dans les communautés, les zones, les circonscriptions et les continents) de faire une lecture de la réalité (par exemple à travers l’adoption du cercle herméneutique) pour identifier les nécessités pastorales et adopter des modalités de présence et d’intervention qui rencontrent ces nécessités?
  2. Quels pas ont été faits dans ta circonscription pour repenser les objectifs, la structure, le style et les méthodes d’évangélisation selon une optique ministérielle?
  3. Les ministères spécifiques (qui concernent, par exemple, les afro-descendants et les peuples indigènes en Amérique Latine, les peuples pasteurs en Afrique et les résidents dans les bidonvilles, les réfugiés, etc.) demandent non seulement des équipes pastorales mais aussi un travail en réseau et des structures de soutien avec des perspectives pastorales continentales. Est-ce que notre programmation pastorale arrive-t-elle à dépasser les limites géographiques de la circonscription pour adopter une approche continentale? Quelles sont les structures continentales qui devraient être renforcées pour favoriser un critère continental face aux nécessités pastorales communes?

 

Bonne fête du Sacré Cœur

Sagrado Corazon

La solennité du Sacré Cœur de Jésus est célébrée vendredi prochain le 23 Juin. «Vivons donc cette fête qui nous est tellement chère en tenant les yeux fixés sur le Cœur de Jésus, en nous laissant enrichir par le témoignage de ceux qui nous ont précédés tout au long de l’histoire de notre Institut et en nous engageant toujours davantage dans la fidélité quotidienne aux valeurs de l’Evangile. Bonne fête du Sacré Cœur! En l’année du 150ème de la Fondation de notre Institut.» (Le Conseil Général).

“Dieu en effet a tant aimé”

«Dieu en effet a tant aimé le monde qu’il a donné son fils unique, afin que toute personne qui croit en lui ne périsse pas mais ait la vie éternelle. Car Dieu n’as pas envoyé le Fils dans le monde pour condamner le monde, mais pour que le monde soit sauvé par lui»
(Jn 3,16).

Très chers Confrères,
Avec nos salutations et nos prières: bonne fête du Sacré Cœur de Jésus.

Dieu notre Père a envoyé son Fils unique, comme signe de son amour pour l’humanité qui est dans la nécessité et la souffrance, et il nous a tous consolé à travers l’Esprit Saint, don de son Fils Jésus Christ, notre Seigneur crucifié et ressuscité. Nous croyons que chaque disciple, homme et femme, est appelé et envoyé à annoncer, témoigner et servir cet amour de Dieu. Nous tous remercions le Seigneur, car il a fait de saint Daniel Comboni et de nous ses fils, les Missionnaires Comboniens, des messagers, des témoins et des serviteurs de son amour.

Tout ce que notre Père Fondateur, Saint Daniel Comboni, a saisi du grand amour de Dieu, le ramenait au Sacré Cœur de Jésus, le symbole de l’amour de Dieu pour l’humanité.

«Ayant extrêmement besoin de l’aide du Sacré-Cœur de Jésus, souverain de l’Afrique Centrale, qui est lui-même la joie, l’espérance, le bonheur, et le tout de ses pauvres Missionnaires, je m’adresse à vous, ami,… pour recommander et confier au Sacré-Cœur les intérêts les plus précieux de ma laborieuse et difficile Mission à laquelle j’ai consacré toute mon âme, mon corps, mon sang et ma vie!» (Ecrits, 5255-5256).

Chers confrères, en cette année où nous célébrons les 150 ans de notre Institut Missionnaire, nous voulons continuer à contempler et remercier Dieu, pour l’amour vécu dans sa vie par saint Daniel Comboni et par tant de nos confrères et pour la grande générosité envers le peuple de Dieu, malgré notre fragilité, nos limites et nos péchés.

«Je viens faire cause commune avec chacun de vous, et le plus heureux de mes jours sera celui où je pourrai donner ma vie pour vous» (Ecrits, 3159).

Oui, Comboni et nos confrères ont accepté que leur cœur soit élargi afin qu’il ressemble davantage à celui de Jésus, de manière à pouvoir faire cause commune et participer avec générosité à la mission de Dieu au milieu des peuples où nous sommes présents, et surtout au milieu de ceux qui souffrent, qui sont marginalisés et appauvris.

«Je me trouve toujours avec mes chers lépreux, je leur parle de la bonté du Seigneur et je leur enseigne la parole de Dieu. L’église se trouve proche de ma maisonnette, Jésus est proche de Giosuè: qui peut être plus heureux que moi? N’est-ce pas là un petit paradis? Pour ce qui concerne la maladie qui m’a visité, oh, je vais donner un baiser à la main du Seigneur qui m’a fait cadeau de la lèpre; pouvoir souffrir ainsi, pour ces âmes, n’est-ce pas une grâce? J’ai un unique désir: mourir lépreux au milieu de mes lépreux!» (Fr. Giosuè Dei Cas, 1880-1932)

Oui, nous continuons à remercier le Seigneur pour chacun de nos confrères qui font cause commune et qui annoncent Jésus Christ et son Evangile pour construire le Règne de Dieu, en rappelant que certains d’entre eux ont payé de leur vie leur propre témoignage.

«La Croix est la solidarité de Dieu, qui assume le chemin et la douleur humaine, non pas pour la rendre éternelle mais pour la supprimer. La manière par laquelle il veut la supprimer n’est pas à travers la force ni par la domination, mais par la voie de l’amour. Le Christ a prêché et a vécu cette nouvelle dimension. La peur de la mort ne l’a pas fait désister de son projet d’amour. L’amour est plus fort de la mort» (P. Ezechiele Ramin, Homélie aux Fidèles, Vendredi Saint, Cacoal, le 5.4.1985).

Vivons donc cette fête qui nous est tellement chère en tenant les yeux fixés sur le Cœur de Jésus, en nous laissant enrichir par le témoignage de ceux qui nous ont précédés tout au long de l’histoire de notre Institut et en nous engageant toujours davantage dans la fidélité quotidienne aux valeurs de l’Evangile.
Bonne fête du Sacré Cœur!
En l’année du 150ème de la Fondation de notre Institut
Le Conseil Général MCCJ

Rappeler et raconter la mission

P.-Mariano-Tibaldo Beaucoup de fois je me suis demandé – écrit P. Mariano Tibaldo (dans la photo) – comment mon expérience missionnaire a caractérisé ma manière de percevoir les autres, ma relation avec la réalité, avec Dieu et avec mon être missionnaire. En d’autres mots, quels sont-ils les parcours qui m’ont porté à être ce que je suis, comment les contacts avec des personnes qui ont une culture et une sensibilité différente m’ont changé, comment la vie commune avec des confrères marqués par des expériences positives mais aussi tragiques m’a transformé, et comment des situations porteuses de significations, denses et parfois dramatiques, ont affiné ma sensibilité missionnaire.

‘Raconter’ la mission alors n’est pas seulement reporter des faits et des problématiques missionnaires (surtout pas exposer des ‘paradigmes missionnaires’ qui chatouillent notre intelligence peut-être mais non pas notre cœur). Raconter la mission est ‘rappeler’ les événements fondateurs qui ont marqué la vie (dans le sens le plus vaste du terme, comme des événements-signes de réalités-autres, où on est caressé par la main invisible de Dieu), et qui font partie de notre histoire et de notre identité; le récit, alors, assume une dimension performative, car en témoignant d’un événement qui intéresse l’intelligence, le cœur, la volonté, on fait participer les autres à notre propre parcours missionnaire. Raconter la mission, en synthèse, est témoigner d’une rencontre qui mystérieusement surgit dans l’histoire et qui donne la direction du chemin. La mission naît de la rencontre avec l’amour de Dieu. Le pape François affirme cela dans l’encyclique Evangelii Gaudium (EG): “C’est seulement grâce à cette rencontre – ou nouvelle rencontre – avec l’amour de Dieu, qui se convertit en heureuse amitié, que nous sommes délivrés de notre conscience isolée et de l’auto-référence. Nous parvenons à être pleinement humains quand nous sommes plus qu’humains, quand nous permettons à Dieu de nous conduire au-delà de nous-mêmes pour que nous parvenions à notre être le plus vrai. Là se trouve la source de l’action évangélisatrice. Parce que, si quelqu’un a accueilli cet amour qui lui redonne le sens de la vie, comment peut-il retenir le désir de le communiquer aux autres?” (n. 8).

Rappeler les 150 ans de notre Institut est pourtant célébrer des événements constitutifs et fondateurs, ce ‘rocher dans lequel nous avons été creusés’ qui nous ont fait devenir ce que nous sommes et dans lesquels nous discernons la main amoureuse de Dieu, mais aussi faire mémoire des personnes qui en ont incarné les valeurs avec passion et dans le don total de soi. De ces événements nous en choisissons trois qui, me semble-t-il, ont une signification particulière dans notre vie et en particulier dans notre manière de vivre la mission, car ils en expriment les constantes, les attitudes et les dimensions fondamentales.

  1. La mort de Comboni comme un événement paradigmatique de sa vie

Je confesse d’avoir toujours été fasciné par la passion profonde de Comboni pour l’Afrique, par le fait de se laisser consommer pour l’Afrique, comme la flamme qui lentement fond la cire: comment ne pas rappeler une des dernières photos de Comboni, désormais arrivé à la fin de sa vie, avec une barbe rayée de blanc et le visage marqué par les souffrances? Mais j’ai toujours été fasciné aussi par sa mort et par l’après-Comboni, comme des événements emblématiques de sa vie. Comboni mourait, quand à l’horizon s’amoncelaient les nuages de la révolution du Mahdi, qui aurait balayé les missions du Soudan. Quelques jours avant sa mort il avait écrit au p. Sembianti une lettre qui terminait avec ses mots: “Je suis heureux de la croix, parce que si elle est portée volontiers pour l’amour de Dieu, elle engendre le triomphe et la vie éternelle. Ce sont des paroles qui, du point de vue purement humain, semblaient contredire l’évidence, au moins pour ce qui concerne le ‘triomphe’ de sa mission. Qui comme lui pouvait comprendre l’énormité de la mission et la pauvreté des forces? Un héritage recueilli par Johan Dichtl, qui assista Comboni au cours de ses dernières heures de vie, mais qui était encore trop jeune, ainsi paraissait-il, pour poursuivre cette mission surhumaine. Un héritage qui semblait se fermer tragiquement peu de temps après, avec l’arrivée de la Mahdia.

Comboni était enterré dans le jardin de la mission, à côté du tombeau du premier pro vicaire apostolique, le jésuite Massimiliano Ryllo. Après la révolution, en 1901, le vicaire apostolique de ce temps-là, Mgr. Roveggio, revint au cimetière de la mission pour exhumer les dépouilles. “[…] on est revenu dans le jardin de la mission de Khartoum – écrit Domenico Agasso dans sa biographie de Comboni – près des tombes du père Ryllo et de monseigneur Comboni. La première est trouvée intacte. […]. De Daniel Comboni, par contre, dans cette destruction, seulement quelques os mélangés avec la terre […]. Seulement peu de restes […]: le corps du vicaire apostolique est resté là, en grande partie, mélangé avec la terre. Le don total […] Comboni et l’Afrique, une seule chose[1]. Une scène émouvante, des paroles qui expriment encore davantage la passion profonde de Comboni, dont non seulement la vie mais aussi la mort semble appartenir à l’Afrique. Un événement, je crois, hautement symbolique: le corps de Comboni, “mélangé avec cette terre” qui semble la féconder. Une appartenance, la sienne, au-delà de la mort. Mais au-delà de l’émotion, le point de vue humain nous conduirait à penser que le grand rêve de Comboni échoue, comme d’autres expériences avant la sienne.

Je crois que les paroles du pape François nous illuminent, quand dans Evangelii Gaudium, il formule un principe fondamental pour la construction d’une nouvelle société: le temps est supérieur à l’espace. “Donner la priorité au temps – affirme le Pape –  c’est s’occuper d’initier des processus plutôt que de posséder des espaces. Le temps ordonne les espaces, les éclaire et les transforme en maillons d’une chaîne en constante croissance, sans chemin de retour. Il s’agit de privilégier les actions qui génèrent les dynamismes nouveaux dans la société et impliquent d’autres personnes et groupes qui les développeront, jusqu’à ce qu’ils fructifient en évènement historiques importants. Sans inquiétude, mais avec des convictions claires et de la ténacité.” Et encore:Ce critère est aussi très adapté à l’évangélisation, qui demande d’avoir présent l’horizon, d’adopter les processus possibles et les larges chemins” (n. 223 et n. 225).

La vie et la mort de Comboni comme une action génératrice d’un processus de changement à travers des personnes qui, même si peu nombreuses, en continuent le rêve. Pourtant, un critère de méthode missionnaire et d’animation missionnaire est celui de mettre en œuvre des actions génératrices qui, même si elles apparaissent insignifiantes, déclenchent un mouvement de transformation, en associant des personnes qui deviennent elles aussi un instrument du changement. Les exemples de cela ne manquent pas dans notre histoire. Une brève référence au Fr. Michele Sergi et à son ‘club’ à Khartoum, un point de rencontre et de formation pour les jeunes, une réalisation sans trop de prétentions, mais beaucoup parmi ceux qui y ont été formés sont devenus des pionniers de l’évangélisation dans les zones du Sud Soudan où les missionnaires n’étaient pas encore arrivés.

  1. P.-Mariano-TibaldoAprès la révolution du Mahdi

L’ouragan de la révolution du Mahdi, tout de suite après la mort prématurée de Comboni, s’abat sur nos missions. La mission de l’Afrique Centrale est balayée, les missionnaires, hommes et femmes, fuient en Egypte ou sont fait prisonniers. Pour ces derniers commencera le calvaire de la prison et des humiliations.

Vingt ans après, les missionnaires reviennent à Khartoum et ils commencent la route vers le sud pour fonder de nouvelles missions; sans de points de référence, sans expérience, sans même un manuel missionnaire. Le P. Antonio Vignato, en repensant à ses premières expériences au Soudan, décrit ainsi la situation:Un terrible retard de notre organisation de la catéchèse est dû aussi à l’inexpérience de comment organiser la mission; personne d’entre nous avait observé sur place le travail des autres missionnaires et très peu de personnes avait lu quelque chose de l’expérience des autres. Notre unique expérience venait de la colonie antiesclavagiste de Gesirah […] et des écoles de Hélouan, Suakim et d’autres semblables”[2]. Il faut repartir à zéro et refonder le rêve de Comboni, malgré les difficultés énormes et les empêchements rencontrés sur le chemin.

Perdre tout et recommencer à zéro, refonder le rêve de Comboni – ou le garder vivant au milieu des tragédies où beaucoup d’entre nous se sont trouvés – est une constante qui nous a accompagnés dès le début. C’est comme si le Seigneur nous a guidés, à travers ces expériences douloureuses et d’autres encore, vers l’essentiel de la mission. Je rappelle les destructions de la guerre en Ouganda, quand j’étais encore scolastique; des missions détruites: Maracha, Koboko et d’autres; je me rappelle de la mission de Otumbari, que les missionnaires avaient quittée sur l’ordre de l’évêque, parce que dans une zone de guerre; la douleur du p. Bernardo Sartori, devant l’ordre de quitter la mission, parce qu’il n’était pas convaincu et il a plié la tête en obéissance. Mes pensées vont à tant de confrères qui restent avec les gens, malgré les guerres et les violences, parfois en suivant le peuple comme des réfugiés. En recommençant à zéro, avec entêtement, garder vivant le rêve de Comboni, qui est en fait celui de Jésus lui-même, ou le refonder quand tout semble perdu, en passant par un processus de kénose qui est participation à la kénose de Jésus, où le travail de tant d’années et détruit et annulé; mais c’est une expérience qui peut devenir kairòs, à travers un processus de discernement guidé par l’Esprit, un moment opportun de croissance et de changement.

Voilà ainsi un appel à revenir à l’essentiel, à travers l’annulation de certitudes éphémères et de plans et de méthodes bien architecturés, si cela est uniquement le fruit de la “vaine gloire”. “Combien de fois rêvons-nous de plans apostoliques, expansionnistes, méticuleux et bien dessinés, typiques des généraux défaits! – nous rappelle le Pape – Ainsi nous renions notre histoire d’Église, qui est glorieuse en tant qu’elle est histoire de sacrifices, d’espérance, de lutte quotidienne, de vie dépensée dans le service, de constance dans le travail pénible, parce que tout travail est accompli à la “sueur de notre front”. (EG 96). Alors aussi la tragédie, les défaites, la perte, l’annulation de nos certitudes mondaines deviennent un appel à la conversion, se transforment en événements fondateurs pour revenir aux racines de notre identité et de notre mission.

En quelques traits, Evangelii Gaudium trace les dimensions d’une communauté ‘en sortie’ et de ce qui constitue l’essentiel de la mission. Le Pape François parle de prendre l’initiative, de chercher ceux qui sont loin, d’aller dans les carrefours des routes et inviter les exclus: c’est aller vers les ‘plus pauvres et abandonnés’ de notre tradition; la formule ad gentes, dans cette perspective, conserve encore sa valeur. Mais François parle aussi d’une communauté qui s’implique et qui sait “assumer la vie humaine en touchant la chair souffrante du Christ dans le peuple”, écho du ‘Faire cause commune avec le peuple’ qui fait partie de la méthodologie combonienne de l’évangélisation; mission est toucher la chair souffrante du frère – chair comprise dans plusieurs dimensions: humaines, sociales, culturelles – et invitation à ne pas “demeurer dans la pure idée et tomber dans l’intimisme et le gnosticisme qui ne donnent pas de fruit”, mais à mettre en œuvre “le critère de la réalité d’une parole déjà incarnée et qui cherche toujours à s’incarner” selon le critère pour lequel “la réalité est supérieure à l’idée (EG n. 233). François ajoute d’autres dimensions missionnaires: accompagner l’humanité dans tous ses processus, aussi durs et prolongés qu’ils puissent être; accompagner est un parcours qui connaît les attentes longues et la patience apostolique. L’évangélisation utilise beaucoup de patience, et elle évite de ne pas tenir compte des limites. ‘Sauver l’Afrique par l’Afrique’ ne souligne-t-il pas le processus de devenir des compagnons discrets, afin que les personnes deviennent les protagonistes de leur histoire? Et enfin, les critères du ‘fructifier’ et du ‘fêter’, afin que “la Parole s’incarne dans une situation concrète et donne des fruits de vie nouvelle” et “célèbre et fête chaque petite victoire, chaque pas en avant dans l’évangélisation” (EG n. 24).

Revenir à l’essentiel de la mission veut dire redécouvrir que la communauté est le sujet qui évangélise, qui prend l’initiative, s’implique, accompagne, fructifie et fête, car, dans les paroles de cette Encyclique, la communauté “est une intimité itinérante, et la communion ‘se présente essentiellement comme communion missionnaire’” animée par l’Esprit de Jésus (EG n. 23). La communauté, j’ajoute, est cette intimité itinérante qui, pendant qu’elle évangélise, elle est évangélisée, au moment où elle enseigne elle apprend, quand elle est le sujet de la mission elle en devient l’objet, dans un enrichissement mutuel du donner et du recevoir (AC ’15 n. 3, 26).

  1. Division et réconciliation

Rappeler, même si rapidement, les événements qui ont conduit à la division et ensuite à la réunion de notre Institut a des conséquences, me semble-t-il, non seulement sur notre manière de voir notre appartenance commune mais aussi sur notre manière de vivre la mission.

La division de notre Institut, décidée en 1923, fut une “blessure profonde”, comme écrit le p. Romeo Ballan dans le supplément de Familia Comboniana du mois d’avril 2017, en reprenant les commentaires des pères F. Pierli et T. Agostoni. Une division dont les raisons semblaient avoir un poids supérieur à celles pour rester unis: une formation différente, une méthode missionnaire différente, des nationalismes très forts, le tout accompagné par un manque absolu de dialogue au sommet, à qui on reproche, on a écrit cela dans le Bulletin de 1972, “la séparation en deux de l’unique corps fondé par Comboni[3]. Una division que beaucoup de comboniens, dans leur ouverture du cœur et de l’intelligence, ont vécue avec souffrance: “La séparation n’a jamais été sans regret – on insistait dans le même article – pour certains elle a été même un cas de conscience[4].

Ainsi le désir de la réunion n’a jamais disparu, parce que “le corps combonien est resté fidèle à sa vocation: pour cela l’inquiétude féconde semée par Comboni[5]. L’inquiétude qui fait dépasser les précautions réciproques et les préjugés, quand la conscience de l’appartenance commune à Comboni comme figure de fondation, et la conscience de la mission comme la raison d’être de “l’unique Institut Combonien né en mission[6] se renforcent et deviennent les raisons génératrices d’un mouvement nouveau: alors les inquiétudes deviennent actions, une histoire concrète faite de dialogues informels, recherches d’études, collaboration dans les missions, des réalisations concrètes pour une formation commune en Espagne, travail de personnes qui ont cru à la réunion telles que les pères Riedl et Farè, une histoire de décisions des Chapitres Généraux des deux Instituts, des activités de la Reunion Study Commission, jusqu’au Chapitre de 1979 qui a formellement décidé la réunification. Mais la réunification, qui est simplement un fait formel et juridique, a été précédée par le dialogue sincère, l’accueil réciproque et je dirai une sincère reconnaissance des préjugés de chacun dans la conscience de racines communes d’identité qui sont un point solide pour reconstruire l’unité. Je considère ce désir ardent de la réunification et le processus qui l’a mis en acte comme des événements fondateurs de notre identité, surtout aujourd’hui où notre Institut est en train d’assumer une forte dimension multiculturelle: nous sommes un Institut fondé sur la réconciliation et sur l’accueil réciproques, et dont la mission est de créer des communautés réconciliées: le pardon, le dialogue, la réconciliation, l’accueil de l’autre font partie de notre identité missionnaire.

Je trouve donc pertinentes les paroles de Evangelii Gaudium sur la manière de se situer vis-à-vis des conflits inévitables qui peuvent surgir dans la communauté. Le conflit, affirme le Pape, ne doit pas être caché, surtout on ne doit pas y rester prisonnier en jetant sur les autres ses propres “confusions et insatisfactions”, mais on l’accueille, on le résout, on le transforme en un maillon d’un nouveau processus” (EG n° 227). “De cette manière – poursuit le Pape – il est possible de développer une communion dans les différences, que seules peuvent faciliter ces personnes nobles qui ont le courage d’aller au-delà de la surface du conflit et regardent les autres dans leur dignité la plus profonde. Pour cela, il faut postuler un principe indispensable pour construire l’amitié sociale: l’unité est supérieure au conflit (EG n. 228). En synthèse, le conflit doit être affronté dans l’accueil de l’autre sans conditions et dans l’horizon de son identité charismatique et missionnaire; de cette manière, les différences, occasion de conflit, sont par contre transformées en potentialités au service de la mission. C’est de ces conflits acceptés, résolus, transformés, qu’on procède sur le chemin de la construction de communautés interculturelles et que la communauté elle-même devient un signe et un instrument de réconciliation et de dialogue.

P.-Mariano-Tibaldo

  1. Pour conclure: quelques nœuds problématiques

Je voudrais toucher quelques questions qui me semblent importantes dans cette première partie du XXI siècle, et je le ferai sans avoir la prétention d’avoir les solutions, mais comme des propositions pour continuer la réflexion.

J’écrivais plus haut à propos d’un Institut, où des confrères porteurs de nouvelles cultures venant du Sud Global (un caractère que j’emprunte à des sociologues) sont en train d’entrer dans notre Institut et en occupent des espaces de gestion. L’Institut est en train de changer non seulement dans les nombres, avec l’arrivée de ces confrères, mais aussi parce qu’ils portent de nouvelles manières de penser la vie religieuse, la communauté et la mission, héritage d’un milieu culturel différent. Le dialogue, qui se nourrit de l’écoute profonde des raisons de l’autre, est d’autant plus nécessaire maintenant au moment où ces différences culturelles se révèlent et des solutions à des questions qui semblaient acceptées par tous, maintenant sont remises en question.

Je me réfère en particulier à la problématique des communautés d’insertion radicale qui, selon la compréhension et la praxis communes, sous-tendent de vivre pauvrement, au niveau des pauvres et dans des structures pauvres. Je me demande si des confrères d’autres cultures, différentes de celles du monde occidental, ont une autre manière de comprendre la pauvreté, de vivre en tant que pauvre avec les pauvres et, en général, une sensibilité différente à propos de la pauvreté ‘radicale’. Je n’ai pas de solutions à cette question, je me limite à poser la question, mais en pensant que la tâche de nous écouter, surtout d’écouter soit les messages verbaux soit ceux non verbaux, nous aide dans la construction d’une communion des différences, premier pas vers la réalisation de communautés interculturelles.

Un deuxième problème concerne le caractère provisoire de nos engagements et en particulier ce qui est lié à la responsabilité de laisser un engagement (je me réfère surtout aux paroisses) une fois que celles-ci ont atteint un certain degré d’autosuffisance économique, ministérielle et missionnaire (RV n° 70). J’ajoute, comme une digression mais sans faire de polémique, que d’autres engagements aussi, non autosuffisants et qui avaient besoin de notre présence ont été remis à l’évêque parce que nous étions dans l’impossibilité de continuer notre présence, à cause de la pénurie de personnel. Les idéaux de notre Règle de Vie choquent parfois avec les limites de l’histoire. Le problème de remettre des paroisses autosuffisantes, surtout celles prospères du point de vue économique, se pose maintenant que des confrères qui appartiennent radicalement à une Circonscription considérée ‘de mission’ sont en train d’augmenter et qui justement sont en train d’en prendre la gestion. L’autonomie des circonscriptions, pour ce qui concerne l’entretien des confrères qui leur appartiennent radicalement, est un problème sérieux, auquel beaucoup de circonscriptions cherchent avec fatigue d’apporter une solution. Dans cette perspective, et à la lumière des nouvelles circonstances historiques, des affirmations et des doctrines que nous pensions être acceptées devraient être revisitées. Dans mon expérience de supérieur provincial, je me rappelle les doutes et les perplexités des confrères d’appartenance radicale quant au fait de remettre à l’évêque une paroisse solide économiquement.

Un troisième nœud problématique: la mission qui se contextualise et le système juridique de notre Institut, organisé selon des provinces et des délégations qui, en général, suivent les confins des Pays. Beaucoup de ‘situations missionnaires’, telles que les peuples pasteurs de l’Afrique de l’Ouest, les afro-descendants, les peuples indigènes de l’Amérique Latine, mais aussi les problématiques liées aux périphéries des grandes villes dépassent les confins nationaux et des circonscriptions. Dans notre Institut nous parlons en effet de ‘engagements continentaux’ en référence à de tels contextes. Je me demande s’il ne faut pas repenser la structure juridique de notre Institut, en ligne avec l’engagement missionnaire et l’adapter à la nouvelle réalité. Voir si une division juridique doit suivre une organisation basée sur les ‘situations missionnaires’ plutôt que sur les confins administratifs d’une nation. Il ne s’agit pas d’un problème nouveau: c’est une question sur laquelle avait réfléchi le Chapitre Général de 2009, mais sans y apporter une réponse. Il est vrai aussi que, pour ce qui concerne le partage et l’échange du personnel entre les circonscriptions, notre Règle de Vie prévoit une certaine flexibilité (116 et 125), mais il est vrai aussi que remodeler une circonscription (on peut aussi utiliser un autre nom) selon une ‘situation missionnaire’ aide à créer homogénéité et identité dans la circonscription même, à discerner les lignes communes de la pastorale et à faciliter, de la part du supérieur, le processus d’approfondissement des engagements assumés.

Il me semble que ces trois nœuds problématiques (et d’autres encore qui pourraient surgir) ont besoin d’une réflexion approfondie, d’un dialogue constant et d’un discernement sincère. “Continuer dans l’écoute de Dieu, de Comboni et de l’humanité, pour cueillir et pour indiquer dans la mission d’aujourd’hui les signes des temps et des lieux(AC ’15 n. 22) est une tâche à laquelle nous ne pouvons pas nous soustraire.
P. Mariano Tibaldo mccj

Questions pour une réflexion

  1. En faisant mémoire de mon histoire personnelle et/ou de celle de ma circonscription, quelles sont les expériences fondatrices qui en ont marqué la vie et où j’entrevois la présence de Dieu? De quelle manière ces événements m’ont changé et/ou ont-ils changé la vie de ma circonscription?
  2. Est-ce qu’il y a des actions génératrices qui ont déclenché une transformation de la circonscription et/ou d’une situation sociale? Quels sont les changements qui ont été apportés? Qui sont les personnes qui les ont commencés? Qu’est-ce que, de notre action missionnaire, est dû à la ‘vaine gloire’ de plans personnels plus qu’à la préoccupation de commencer des processus de changement?
  3. Quelles sont les situations difficiles au niveau personnel et/ou de ma circonscription qui ont purifié et qui ont fait devenir plus crédible mon être missionnaire et qui ont aidé ma circonscription à retrouver l’essentiel de la mission?
  4. Quels sont les conflits et comment suis-je en train de les gérer, au niveau de ma communauté et de ma circonscription?

[1] Domenico Agasso sr – Domenico Agasso jr, Un profeta per l’Africa. Daniele Comboni, Cinisello Balsamo (Milano), San Paolo, 2011, pp. 279-280.

[2] Antonio Vignato, Una pagina di storia catechetica africana, in «Combonianum», 8 (1944)2, p. 11-12. Roma, Archivio Centrale, l/A/l.

[3] Breve cronologia dei contatti tra Comboniani Italiani (FSCJ) e Tedeschi (MFSC), in «Bollettino» (1972) 97, p. 58.

[4] Ibid. p. 58.

[5] Ibid. p. 58.

[6] Ibid. p. 59.

L’évolution historique de l’Institut des Missionnaires Comboniens

LOGO 150 aniversario MCCJ«La vie de Daniel Comboni (1831-1881) – écrit le Père P. Fidel González Fernández, missionnaire combonien – a une unité de fond claire où se croisent de différents aspects. Mais dans cette note historique nous voulons arrêter notre attention sur Comboni comme fondateur “d’instituts missionnaires” dans le contexte des Instituts missionnaires qui dépendaient de Propaganda Fide. Comboni fonda deux instituts missionnaires: un Séminaire ou Institut missionnaire pour les Missions Africaines (1867) et l’Institut des “Pieuses Mères de la Nigritie” (1872), qui rentre dans l’histoire des “nouveaux instituts” de vie consacrée qui au cours du dix-neuvième siècle ont une histoire spéciale de renouvellement. Dans l’évolution historique de l’Institut des Missionnaires Comboniens nous pouvons repérer clairement trois phases.»

L’INSTITUT COMBONIEN POUR LES MISSIONS AFRICAINES DANS SA PREMIERE ETAPE “SECULIERE”

(Première partie)

  1. L’histoire de la mission et des instituts missionnaires sous Propaganda Fide

L’histoire de l’évangélisation commence le jour même de la Pentecôte et se développe progressivement en de nouvelles formes dans l’histoire de l’Eglise[1]. Au cours des premiers siècles le christianisme se répandit “d’expérience à expérience” (Ratzinger) et seulement à partir du IV siècle il prendra des formes missionnaires qui “s’organisent” progressivement. A l’âge moderne, l’évangélisation assume des formes, des modalités et une extension nouvelles. Nous trouvons, en effet, consacrés à l’œuvre de l’évangélisation parmi les peuples non chrétiens, des ordres religieux anciens et de nouveaux instituts qui commencent à être appelés “instituts missionnaires ad gentes”. Le nom et l’idée de “institut missionnaire» sont relativement modernes dans l’histoire de l’Eglise, ainsi que le terme “mission”. Ils ont été introduits après la fondation de Propaganda Fide (1622), dans le sens d’envoyés de la part du Pape dans n’importe quelle partie du monde (les Jésuites et ensuite les Lazaristes, Congregatio Missionum, 1625) pour des œuvres apostoliques au milieu des catholiques, non-catholiques et des non chrétiens (“l’évangélisation des peuples ou ad gentes”).

Joseph Ratzinger, dans une des dernières pages de son livre Jésus de Nazareth, où on parle de la “venue intermédiaire du Seigneur” (entre Bethléem et la Gloire définitive), écrit que cette “venue” assume beaucoup de modalités, mais il y en a qui “font époque”. Il se réfère à l’impact de quelques figures à travers lesquelles le Christ agit dans l’histoire. L’Esprit Saint, à travers de telles figures, suscite dans l’Eglise des mouvements qui témoignent de la beauté d’être chrétiens dans des périodes où la fatigue de la foi devient une sorte de pandémie généralisée. Il en fut ainsi dans l’histoire missionnaire moderne. En réfléchissant sur l’histoire missionnaire ad gentes de l’Eglise à l’époque missionnaire inaugurée avec la fondation de Propaganda Fide, on peut signaler de nombreuses figures missionnaires charismatiques qui ont réalisé cette œuvre missionnaire ad gentes. En fondant la Congrégation de Propaganda Fide, le Pape lui avait confié la mission de constituer des ministres nécessaires “pour enseigner l’Evangile et la Doctrine catholique dans toutes les missions”. Ne pouvant pas avoir de missionnaires propres à elle, la Congrégation fut obligée de recourir aux anciens Ordres religieux. Et seulement après avoir rencontré de grandes difficultés dans cet appel, Propaganda Fide appuie la naissance de nouvelles institutions missionnaires sous sa juridiction. Commence ainsi l’histoire des Instituts missionnaires “ad gentes”.

Propaganda Fide, d’une part, voyait les avantages que les anciens Ordres religieux offraient aux missions, mais en même temps elle en reconnaissait aussi les inconvénients. Ces deux aspects sont soulignés dans une relation du secrétaire de Propaganda, Alberizi, du 4 novembre 1657, où il dit qu’une “perversion des buts fait que les religieux cherchent d’abord la gloire de leur propre institut, convaincus qu’ils sont en train de travailler pour la gloire de Dieu”. D’autres inconvénients signalés sont les luttes entre les différents Ordres religieux, le peu d’importance accordée à la création d’un clergé indigène ou le fait qu’ils ne lui faisaient pas suffisamment de confiance, et leur opposition à la nomination d’évêques dans les missions. Ils manifestaient la tendance à “se perpétuer” dans les territoires à travers un monopole dans ces mêmes territoires. Alberizi faisait aussi une référence aux raisons du manque de résultats dans l’évangélisation, ainsi qu’aux dégâts dus au monopole de certains Ordres et au contrôle de l’activité missionnaire de la part de certaines entités politiques auxquelles souvent étaient liés les missionnaires eux-mêmes.

La relation terminait avec une référence directe à la fondation récente du Séminaire pour les Missions Etrangères de Paris (MEP) et au Collège Urbain de Propaganda à Rome. On se trouvait ainsi devant une nouvelle réalité dans la vie de l’Eglise: celle des Instituts missionnaires “séculiers”[2]. C’est ici que, dans le temps, va s’insérer l’initiative de plusieurs missionnaires, parmi lesquels Daniele Comboni, de fonder des Séminaires Missionnaires ou des Instituts (les termes manquent encore de précision et la figure juridique de ces fondations recevra une physionomie plus claire seulement vers la fin du XIX siècle). Au dix-neuvième siècle on ne pouvait pas fonder d’autres Ordres religieux sur le modèle des anciens, parce que cela n’était pas permis soit du point de vue canonique soit de celui des lois libérales de l’époque. Avec la Révolution française nous sommes au début d’une nouvelle étape dans l’histoire de l’Eglise et de la vie consacrée apostolique. L’histoire missionnaire de l’Eglise traversait depuis un certain temps une crise profonde et beaucoup d’institutions ecclésiales vivaient une décadence nette (certaines mêmes disparaissent), mais surgiront de nouvelles fondations apostoliques, encore à la recherche d’une identité juridique propre.

L’écroulement de l’Ancien Régime et la fin de l’ancienne société des “états” sociaux, suivis par l’instauration de la nouvelle société libérale des “classes” sociales et des unités politiques nationales emportent l’ancien ordre culturel, social et politique et aussi celui ecclésiastique. Dans cette société dominée par le libéralisme, dans l’Eglise beaucoup des vielles structures ecclésiastiques dépérissent ou même sont emportées par l’idéologie dominante. La vie des anciens Ordres est ballottée entre la possibilité de l’extinction et, dans quelques cas, de la restauration. Mais il faut éviter d’indiquer comme unique responsable de cet état de choses l’Etat libéral. De nombreux Ordres depuis longtemps se trouvaient dans une situation de déchéance interne. Le Saint Siège poursuivait – souvent avec de la peine – leur restauration en proposant des lois et des normes inefficaces. De ces Ordres religieux anciens peu sont ceux qui survivent: ce sont ceux qui ont découvert à nouveau la force de leur propre charisme avec un retour à la primitiva instituti inspiratio. De nouvelles réalités ecclésiales naissent quand même, qui apparaissent aussi dans l’histoire missionnaire.

2. Contexte du nouveau mouvement missionnaire

Sur le terrain de l’activité missionnaire de l’Eglise, il faut se rendre compte de l’état de désastre de l’activité missionnaire ad gentes à l’époque de la Révolution française. Suite à la suppression des Jésuites (1773), l’abandon obligé de leurs missions avait constitué une véritable catastrophe pour l’activité missionnaire. L’historien des missions Joseph Schmidlin fait remarquer qu’aux débuts des années 1800, les missionnaires présents dans tout le monde non catholique ne dépassaient pas les 300 personnes (y compris ceux qui travaillaient dans les Pays protestants). Le symbole de cette décadence fut la suppression du Dicastère de Propaganda Fide par le Directoire français (le 15 mars 1798), qui le qualifia comme “établissement fort inutile”. Napoléon en autorisa encore l’existence, mais pour le mettre au service de ses intérêts. Cette mentalité dominera dans toutes les puissances coloniales des dix-neuvième et vingtième siècles. La vie de ce Dicastère, malgré sa réorganisation suite au travail de Pie VII en 1817, traîne jusqu’aux temps de Grégoire XVI. Ce sera à partir de ces années laborieuses qu’il y aura un réveil de la dimension missionnaire ad gentes dans quelques cercles missionnaires.

Dans ce réveil missionnaire il faut signaler un mouvement généralisé de renouveau chrétien face à la mentalité de la culture illuministe avant, et de celle libérale-positiviste ensuite. Il y en a qui voient l’urgence de l’activité missionnaire comme un impératif de la “Caritas Cordis Christi”. C’est dans cette perspective qu’il faut voir la naissance des œuvres en faveur des missions. Parmi les protagonistes les plus connus du mouvement missionnaire nous pouvons rappeler l’Institut des Missions Etrangères de Paris et les fondateurs des “instituts séculiers” missionnaires.

  1. Les différentes phases de l’évolution historique de l’Institut combonien

Dans le mouvement missionnaire du dix-neuvième siècle, une de ses parties spécifiques adresse son attention vers les peuples noirs de l’Afrique. Dans ce mouvement missionnaire se situe aussi l’histoire tourmentée de la Mission de l’Afrique Centrale et l’activité de fondation de Comboni. Dans cette histoire, le jeune missionnaire Daniel Comboni a occupé une place de plus en plus significative. Son parcours de formation l’a aidé dans le processus de sa maturité apostolique. Sa vocation définitive en faveur de l’évangélisation de ces peuples et la genèse de sa vocation comme fondateur d’un séminaire missionnaire pour les Missions Africaines, qui atteignit son moment charismatique le plus significatif avec la proposition du “Plan pour la régénération de l’Afrique” (1864), a déjà été abondamment étudié par l’historiographie combonienne récente[3]. La vie de Daniel Comboni (1831-1881) a une unité de fond claire où se croisent de différents aspects. Mais dans cette note historique nous voulons arrêter notre attention sur Comboni comme fondateur “d’instituts missionnaires” dans le contexte des Instituts missionnaires qui dépendaient de Propaganda Fide. Comboni fonda deux instituts missionnaires: un Séminaire ou Institut missionnaire pour les Missions Africaines (1867) et l’Institut des “Pieuses Mères de la Nigritie” (1872), qui rentre dans l’histoire des “nouveaux instituts” de vie consacrée qui au cours du dix-neuvième siècle ont une histoire spéciale de renouvellement[4].

Dans l’évolution historique de l’Institut des Missionnaires Comboniens nous pouvons repérer clairement trois phases.

La première phase est celle où l’Institut commence comme un simple Séminaire des Missions pour l’Afrique et donc avec une finalité bien concrète, l’évangélisation, en syntonie avec des expériences semblables déjà connues dans l’Eglise à partir du XVII siècle. Les membres étaient des prêtres séculiers ou des candidats au sacerdoce, auxquels se sont ajoutés, dès les débuts, quelques membres Laïcs. Dans les documents à notre disposition il n’apparaît pas qu’aux débuts ils avaient des liens de vœux religieux. Nous trouvons seulement un engagement par lequel le candidat pour les missions africaines promettait de vivre selon la ‘finalité’ du séminaire, en obéissance aux supérieurs légitimes, et il recevait la ‘reconnaissance’ de missionnaire apostolique, que Propaganda Fide donnait aux missionnaires qui travaillaient sous son guide. Dans cette phase on souligne le caractère de prêtres séculiers de ses membres. Ces derniers restent liés, d’une manière ou de l’autre, à leurs diocèses d’origine, qui normalement les présentaient ou au moins les recommandaient pour l’activité missionnaire. L’autorité suprême de l’Institut est “le Souverain Pontife et la Congrégation de Propaganda Fide … Le supérieur immédiat est l’évêque de Vérone qui est représenté par un Recteur choisi normalement parmi les Missionnaires-mêmes membres de l’Institut Fondamental, déjà expérimentés dans l’exercice de l’Apostolat Africain”. “L’évêque de Vérone est aidé dans l’exercice de ses fonctions par un corps présidé par lui-même, composé par des ecclésiastiques et des laïcs, sages et distingués, de son diocèse. Ce corps s’appelle Conseil Central de l’œuvre pour la Régénération de la Nigritie”[5]. En partie, ces Règles manifestent la dynamique juridique de celles du MEP, mais avec des modifications importantes qui concernent l’autorité, de fait fondamental, de l’Evêque de Vérone et du conseil qu’il choisit. “L’évêque de Vérone a érigé canoniquement ce séminaire sur la demande du prêtre missionnaire apostolique Daniele Comboni” en 1867. Le Séminaire des Missions Africaines de Vérone naît ainsi et restera ainsi, avec une existence plutôt précaire, jusqu’à la fin de 1871[6].

A partir de cette année-là, une physionomie plus précise se profile pour ce séminaire missionnaire pour les Missions Africaines et plus concrètement pour la Mission de l’Afrique Centrale, un territoire très vaste et avec des limites encore incertaines. Comboni avait déjà fait une expérience de responsabilité d’une œuvre missionnaire au Caire, que lui-même avait fondée en 1868. Il se rend compte qu’un séminaire pour les Missions Africaines ne suffit pas, sans une structure juridique qui soit déterminée plus spécifiquement. Certaines expériences douloureuses lui ont appris cela. La vie commune et l’activité missionnaire exigeaient une plus grande cohésion parmi ses missionnaires et un engagement formel plus décidé.

Nous entrons ainsi dans une deuxième phase de cette histoire. Comboni commence à écrire les Règles de son Institut et il en recherche l’approbation de la part de Propaganda. Il faut remarquer qu’avec le terme Institut on n’indique pas ce qu’il signifie dans notre langage actuel[7].

Dans cette deuxième phase nous voyons que de la part des membres du jeune institut on exige un lien canonique plus spécifique mais, toujours selon les “Règle de 1871-1872” que Propaganda Fide n’a jamais approuvées, il manque toujours cette précision juridique demandée jusqu’à ce moment-là par les institutions ecclésiastiques de droit public. Aussi le langage et les normes donnés, même s’ils puisent dans la terminologie de la vie religieuse classique, des termes tels que noviciat et d’autres, restent encore peu précis. Il s’agit de Règles exhortatives, juridiquement génériques, et qui pour cela ne seront jamais approuvées. La période de préparation à la mission africaine devait être passée à Vérone ou au Caire. On n’émettait pas de vœux de religion – il paraît même pas en forme privée – mais il existait un lien de serment de consécration “in perpetuo” à la mission africaine, d’obéissance aux supérieurs légitimes avec un lien de dépendance de son supérieur ecclésiastique propre. On parle explicitement du Dicastère de Propaganda Fide et de l’évêque de Vérone, mais il manque une physionomie juridique claire et précise. Les Règles de l’Institut présentent des caractères de radicalité (ils consacrent leurs œuvres et, si nécessaire, aussi leur vie…), mais là aussi on ne précise pas beaucoup leur contenu. Dans l’introduction Comboni écrit: “Les Règles d’un Institut dont le but est de former des apôtres pour des nations barbares et infidèles, si l’on veut qu’elles soient durables, doivent reposer sur des principes généraux…” et tout de suite après il en explique la raison: “Trop détaillées, elles risqueraient d’être, tôt ou tard, en raison de la nécessité ou d’un désir de changement quelconque, minées dans leur fondement même, se transformant en un carcan désagréable et un lourd fardeau pour celui qui aurait à les mettre en pratique. En outre, étant donné que le champ ou le candidat va déployer son action est vaste et varié, celui-ci ne saurait être réduit à des tâches bien déterminées, comme cela se passe dans les Ordres religieux. Ce sont toujours ces principes généraux qui doivent modeler son esprit et son cœur en sorte qu’il puisse s’autodéterminer, en les appliquant avec perspicacité et jugement, en fonction des temps, lieux et circonstances très variées ou sa vocation le place. Afin d’atteindre le but que se propose le nouvel Institut des Missions pour la Nigritie, que l’on établisse seulement les principes fondamentaux qui en constituent le vrai caractère et qui servent aux candidats comme norme de jugement avec pleine uniformité et avec une égalité d’esprit et de conduite extérieure telle qu’elle les fasse reconnaître comme les membres d’une même famille[8].

A ce moment, les membres de l’Institut sont déjà définis comme des ‘ecclésiastiques et des Laïcs’ consacrés pour la mission[9]. Dans le texte des Règles de 1871 on disait que “L’Institut, c’est-à-dire le Collège des Missions pour l’Afrique, est une association d’Ecclésiastiques et de Frères Coadjuteurs qui sans les liens des vœux religieux… se consacrent à la conversion de l’Afrique[10]. Les “Règles et l’organisation de l’Institut des Missions pour la Nigritie à Vérone” de 1872 sont un texte, réduit et revu par Comboni même, de ses “Règles” de 1871[11]. Le texte de cette nouvelle édition des “Règles” fait partie des documents insérés dans la “Ponenza” cardinalice à Propaganda de 1872, qui détermina la nomination de Comboni comme Pro-vicaire et la décision de confier la Mission de l’Afrique Centrale à l’institut qu’il avait fondé à Vérone et au Caire. Il est dit que: “L’Institut pour les Missions de la Nigritie est une association libre et séculière d’Ecclésiastiques et de Laïcs, qui consacrent leurs œuvres et, si nécessaire, aussi leur vie pour la conversion des pauvres Noirs païens de l’Afrique Centrale, sous la dépendance des supérieurs légitimes et les normes de ces Règles[12].

De 1872 à la mort de Comboni, la physionomie de l’Institut continuera petit à petit à mieux se définir, soit dans l’esprit de Comboni soit chez les autres membres. Comboni cherchait une approbation canonique définitive de la part de Propaganda: mais quel type d’association avait-il dans son esprit? Quelle physionomie juridique voulait-il? Il ne s’agissait pas d’une congrégation religieuse avec des vœux simples dans le sens moderne, mais non plus – nous semble-t-il – dans le sens des congrégations ou des compagnies déjà existantes et juridiquement approuvées par l’Eglise dès le XIV siècle, telle que par ex. les Prêtres de la Mission, et, plus tard, des congrégations avec des liens de vœux simples comme les Rédemptoristes et les Passionistes. Il s’agissait alors d’une sorte de “société apostolique” composée par des prêtres et des laïcs consacrés pour la Mission tel que le MEP ou d’autres fondations semblables?[13] A partir des documents comboniens, il nous semble que celle-ci pouvait être la tendance de Comboni. Mais sa mort prématurée tranche les choses, sans éclaircir juridiquement la question. Le développement de la phase qui suivra n’appartient plus à l’action de Comboni. Mais nous devons dire que tout en n’étant pas des religieux dans la modalité juridique classique, Comboni exigeait de ses missionnaires la radicalité de vie évangélique qui est la caractéristique des consacrés, ce qui est un aspect que nous trouvons aussi dans d’autres sociétés apostoliques semblables de la même époque. Est-ce qu’il avait pensé à la transformation de son Institut dans une congrégation religieuse formelle dans le sens que cette expression assumera plus tard? Les documents que nous avons n’aident pas beaucoup à donner une réponse certaine, aussi parce que l’objet de l’histoire sont les faits réels et non pas les intentions. Ce que certainement il voulait, c’était de mettre en mouvement une compagnie de missionnaires consacrés de manière radicale au Christ et à son Eglise en faveur de la mission africaine, avec toutes les caractéristiques d’une vie consacrée, suivant les traces d’expériences semblables déjà reconnues par l’Eglise ou en voie d’être reconnues.

On pourra peut-être dire que, entre 1871 et 1881, année de la mort de Comboni, le Séminaire ou l’Institut Missionnaire Africain qu’il avait fondé évolue formellement dans la recherche juridique de sa physionomie propre comme “association d’Ecclésiastiques et de Laïcs” consacrés à la Mission, liés par des liens solides d’appartenance et de stabilité (“consécration” d’abord ad decemnium, selon les Règles préparées par Comboni en 1872, mais qui laissent la porte ouverte à la perpétuité de la consécration, et ensuite déjà explicitement “in perpetuo”, comme le dit le serment rédigé par Comboni pour les Frères Laïcs). Dans son développement logique, cela aurait conduit à la formation d’une societas stable d’une vie commune et apostolique. Toute semence a son temps propre de développement et de croissance. Et cela est arrivé aussi dans le cas combonien, même si la mort de Comboni déclencha une autre phase, avec des problématiques tout à fait particulières.
P. Fidel Gonzalez, mccj

La deuxième partie de cet article paraitra sur Familia Comboniana du mois de mars.

[1] Cf. Fidel González, I movimenti nella storia della Chiesa dagli Apostoli ad oggi, Rizzoli, 2000.

[2] Le terme “séculier” jusqu’à la fin du vingtième siècle comprend toutes les formes de vie apostolique qui n’étaient pas considérées juridiquement “religieuses” comme les moines, les frères, et similaires. Les “congrégations” fondées à partir du XVI siècle sont considérées généralement “séculières”.

[3] Cf. Congregatio De Causis Sanctorum, Danielis Comboni. Positio super vitae et virtutibus… (Elle sera maintenant citée comme D.C. Positio), 2 voll. Romae 1988. Fondamentaux sont les livres de P. Chiocchetta et A. Gilli; de F. González, Daniel Comboni, Profeta y Apostol de Africa, Mundo Negro, Madrid 1985; Idem, Comboni en el corazón de la Misión Africana. El Movimiento misionero y la Obra comboniana:1846-1910, Madrid 1993.

[4] Le dix-neuvième siècle catholique se caractérise par le protagonisme de la femme dans la vie ecclésiale avec la fondation de nombreux “nouveaux instituts” féminins (hors des limites de la vie monacale, mais aussi par rapport aux “instituts séculiers”) qui embrassent tous les domaines de l’émargination sociale et de l’activité missionnaire. Ces nouvelles fondations porteront à une “révolution” dans le domaine du droit des religieuses ou de la vie consacrée.

[5] Regole del 1871, cap. II, en D. Comboni, Scritti, 2650-2652.

[6] Cf. Décret diocésain de l’évêque de Vérone, Magno sane perfundimur gaudio, en ACR, sect. A, c. 25/14 (kalendis Iunii [1 juin] an. 1867. Programme et Statuts de l’Œuvre du Bon Pasteur, en ACR, sect. A, c. 25/14; Lettre Bonus Pastor de l’évêque de Vérone aux évêques d’Italie (6 mars 1868),en ACR, sect. A, c. 25/14; Décret de l’évêque de Vérone avec l’érection canonique du nouvel Institut du 8.XII.1871, en ACR, sect. A, c. 25/20: en A. Gilli, L’Istituto Missionario Comboniano dalla fondazione alla morte di Daniele Comboni, pp. 359-378. Suivent d’autres lettres de l’Evêque à Pie IX et au Card. Préfet de P.F. et d’autres documents relatifs à ce thème.

[7] Par “Institut” on comprend une entité de droit public ou privé, constituée sur la base d’exigences d’organisation et d’objectifs déterminés: ecclésiastique (religieux, missionnaire), hospitalier, éducatif, etc., institué selon des lois précises et des normes pour une fin déterminée d’intérêt public. “Congrégation” (de congregare, litt. “réunir dans un troupeau”), dans le monde ecclésiastique catholique est un groupe de personnes réunies pour des raisons religieuses ou laïques. Dans l’histoire de la vie religieuse le terme a eu plusieurs significations; l’une d’elles, après le siècle XIX, se réfère à “Institut” de vie consacrée avec des liens des vœux simples; mais il ne s’agit pas d’un terme univoque.

[8] D. Comboni, Regole dell’Istituto delle Missioni per la Nigrizia. Texte du 1871, en P. Chiocchetta, Daniele Comboni: Carte per l’Evangelizzazione dell’Africa, EMI, Bologna 1978, pp. 250-251.

[9] Regole (1872), cap. I, 1, ibidem, p. 276.

[10] Regole (1871), cap. I, ibidem, p. 252.

[11] Cf. D. Comboni, Regole (1871), cap. I-II, en P. Chiocchetta, Daniele Comboni: Carte per l’evangelizzazione dell’Africa, pp. 249-275.

[12] Regole (1872), texte en P. Chiocchetta, Carte per l’evangelizzazione dell’Africa…, o.c., p. 276, et en A. Gilli, L’Istituto Missionario Comboniano dalla fondazione alla morte di Daniele Comboni, pp. 359-378.

[13] Nées, nous l’avons déjà dit, après qu’on eut, avec la Révolution française, la disparition presque totale de la vie religieuse organisée.