Laïcs Missionnaries Comboniens

Message du Pape François Pour la Journée Mondiale des Missions 2017

PapaFrancisco

La mission au cœur de la foi chrétienne

 

Chers frères et sœurs,

Cette année également, la Journée missionnaire mondiale nous rassemble autour de la personne de Jésus, « le premier et le plus grand évangélisateur » (Bienheureux Paul VI, Exhortation apostolique Evangelii nuntiandi, n. 7), qui, continuellement, nous envoie annoncer l’Evangile de l’amour de Dieu le Père dans la force de l’Esprit Saint. Cette Journée nous invite à réfléchir à nouveau sur la mission au cœur de la foi chrétienne. En effet, l’Eglise est missionnaire par nature. Si ce n’était pas le cas, elle ne serait plus l’Eglise du Christ mais une association parmi tant d’autres qui, bien vite, finirait par épuiser son but et disparaître. C’est pourquoi nous sommes invités à nous poser un certain nombre de questions qui touchent notre identité chrétienne même et nos responsabilités de croyants dans un monde confus par tant d’illusions, blessé par de grandes frustrations et lacéré par de nombreuses guerres fratricides qui frappent injustement les innocents en particulier. Quel est le fondement de la mission ? Quel est le cœur de la mission ? Quelles sont les attitudes vitales de la mission ?

La mission et le pouvoir transformant de l’Evangile du Christ, Chemin, Vérité et Vie

1. La mission de l’Eglise, destinée à tous les hommes de bonne volonté, est fondée sur le pouvoir transformant de l’Evangile. L’Evangile est une Bonne Nouvelle qui porte en soi une joie contagieuse parce qu’il contient et offre une vie nouvelle : celle du Christ ressuscité qui, en communiquant son Esprit vivifiant, devient Chemin, Vérité et Vie pour nous (cf. Jn 14, 6). Il est le Chemin qui nous invite à Le suivre avec confiance et courage. En suivant Jésus comme notre Chemin, nous faisons l’expérience de la Vérité et nous recevons sa Vie, qui est pleine communion avec Dieu le Père dans la force de l’Esprit Saint, nous rend libre de toute forme d’égoïsme et se trouve être source de créativité dans l’amour.

2. Dieu le Père veut une telle formation existentielle de ses fils et de ses filles ; transformation qui s’exprime en tant que culte en esprit et en vérité (cf. Jn 4, 23-24), par une vie animée par l’Esprit Saint à l’imitation du Fils, Jésus, à la gloire de Dieu le Père. « La gloire de Dieu est l’homme vivant » (Saint Irénée de Lyon, Adversus haereses IV, 20, 7). De cette manière, l’annonce de l’Evangile devient parole vivante et efficace qui met en œuvre ce qu’elle proclame (cf. Is 55, 10-11) c’est-à-dire Jésus Christ, qui se fait continuellement chair dans toute situation humaine (cf. Jn 1, 14).

La mission et le kairos du Christ

3. La mission de l’Eglise n’est donc pas la diffusion d’une idéologie religieuse et pas même la proposition d’une éthique sublime. De nombreux mouvements de par le monde savent produire des idéaux élevés ou des expressions éthiques remarquables. Par le biais de la mission de l’Eglise, c’est Jésus Christ qui continue à évangéliser et à agir, et par suite elle représente le kairos, le temps propice au salut dans l’histoire. Par l’intermédiaire de la proclamation de l’Evangile, Jésus devient toujours à nouveau notre contemporain, afin que ceux qui l’accueillent avec foi et amour fassent l’expérience de la force transformatrice de son Esprit de Ressuscité qui féconde l’être humain et la Création comme le fait la pluie avec la terre. « Sa résurrection n’est pas un fait relevant du passé ; elle a une force de vie qui a pénétré le monde. Là où tout semble être mort, de partout, les germes de la résurrection réapparaissent. C’est une force sans égale » (Exhortation apostolique Evangelii gaudium, n. 276).

4. Rappelons-nous toujours que « à l’origine du fait d’être chrétien, il n’y a pas une décision éthique ou une grande idée, mais la rencontre avec un événement, avec une Personne, qui donne à la vie un nouvel horizon et par là son orientation décisive » (Benoît XVI, Encyclique Deus caritas est, n. 1). L’Evangile est une Personne, qui s’offre continuellement et continuellement invite ceux qui l’accueillent avec une foi humble et laborieuse à partager sa vie au travers d’une participation effective à son mystère pascal de mort et résurrection. L’Evangile devient ainsi, par le Baptême, source de vie nouvelle, libérée de la domination du péché, illuminée et transformée par l’Esprit Saint ; par le biais de la Confirmation, il devient onction fortifiante qui, grâce à ce même Esprit, indique des chemins et des stratégies nouvelles de témoignage et de proximité ; et par l’intermédiaire de l’Eucharistie, il devient nourriture de l’homme nouveau, « remède d’immortalité » (Ignace d’Antioche, Epistula ad Ephesios, 20, 2).

5. Le monde a essentiellement besoin de l’Evangile de Jésus Christ. Au travers de l’Eglise, il continue sa mission de Bon Samaritain, en soignant les blessures sanglantes de l’humanité, et de Bon Pasteur, en cherchant sans relâche celui qui s’est égaré sur des chemins tortueux et sans but. Et, grâce à Dieu, les expériences significatives témoignant de la force transformante de l’Evangile ne manquent pas non plus. Je pense au geste de cet étudiant Dinka qui, au prix de sa propre vie, protège un étudiant de la tribu Nuer destiné à être tué. Je pense à cette Célébration eucharistique, à Kitgum, dans le nord de l’Ouganda, alors ensanglanté par la férocité d’un groupe de rebelles, lorsqu’un missionnaire a fait répéter aux personnes les paroles de Jésus sur la croix : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? », en tant qu’expression du cri désespéré des frères et des sœurs du Seigneur crucifié. Cette célébration fut pour le peuple source de grande consolation et de beaucoup de courage. Et nous pouvons également penser aux nombreux, aux innombrables témoignages de la manière dont l’Evangile aide à surmonter les fermetures, les conflits, le racisme, le tribalisme en promouvant partout et entre tous la réconciliation, la fraternité et le partage.

La mission inspire une spiritualité d’exode continuel, de pèlerinage et d’exil

7. La mission de l’Eglise est animée par une spiritualité d’exode continuel. Il s’agit de « sortir de son propre confort et avoir le courage de rejoindre toutes les périphéries qui ont besoin de la lumière de l’Evangile» (Exhortation apostolique Evangelii gaudium, n. 20). La mission de l’Eglise stimule une attitude de pèlerinage continuel à travers les différents déserts de la vie, à travers les diverses expériences de faim et de soif de vérité et de justice. La mission de l’Eglise inspire une expérience d’exil continuel, pour faire percevoir à l’homme assoiffé d’infini sa condition d’exilé en chemin vers la patrie définitive, tendu entre le « déjà » et le « pas encore » du Royaume des Cieux.

8. La mission dit à l’Eglise qu’elle n’est pas une fin en soi mais un humble instrument et une médiation du Royaume. Une Eglise autoréférentielle, qui se complait de ses succès terrestres, n’est pas l’Eglise du Christ, son corps crucifié et glorieux. Voila pourquoi nous devons préférer « une Eglise accidentée, blessée et sale pour être sortie par les chemins, plutôt qu’une Eglise malade de la fermeture et du confort de s’accrocher à ses propres sécurités» (ibid., n. 49).

Les jeunes, espérance de la mission

9. Les jeunes représentent l’espérance de la mission. La personne de Jésus et la Bonne Nouvelle qu’il proclame continuent à fasciner de nombreux jeunes. Ils cherchent des parcours au travers desquels mettre en œuvre le courage et les élans du cœur au service de l’humanité. « Nombreux sont les jeunes qui offrent leur aide solidaire face aux maux du monde et entreprennent différentes formes de militance et de volontariat […].Qu’il est beau que des jeunes soient “pèlerins de la foi”, heureux de porter Jésus dans chaque rue, sur chaque place, dans chaque coin de la terre ! » (ibid., n. 106). La prochaine Assemblée générale ordinaire du Synode des Evêques, qui se tiendra en 2018 sur le thème « Les jeunes, la foi et le discernement des vocations », se présente comme une occasion providentielle pour impliquer les jeunes dans la responsabilité missionnaire commune qui a besoin de leur riche imagination et de leur créativité.

Le service des Œuvres pontificales missionnaires

10. Les Œuvres pontificales missionnaires constituent un instrument précieux pour susciter en chaque communauté chrétienne le désir de sortir de ses propres frontières et de ses propres sécurités et de prendre le large pour annoncer l’Evangile à tous. Au travers d’une profonde spiritualité missionnaire à vivre au quotidien, d’un engagement constant de formation et d’animation missionnaire, des adolescents, des jeunes, des adultes, des familles, des prêtres, des religieux et des religieuses, des Evêques sont impliqués afin que grandisse en chacun un cœur missionnaire. La Journée missionnaire mondiale, promue par l’Œuvre de la Propagation de la Foi, constitue l’occasion propice pour que le cœur missionnaire des communautés chrétiennes participe par la prière, le témoignage de la vie et la communion des biens afin de répondre aux graves et vastes besoins de l’Evangélisation.

Etre missionnaires avec Marie, Mère de l’évangélisation

11. Chers frères et sœurs, soyons missionnaires en nous inspirant de Marie, Mère de l’Evangélisation. Mue par l’Esprit, elle accueillit le Verbe de la vie dans la profondeur de son humble foi. Que la Vierge nous aide à dire notre « oui » dans l’urgence de faire résonner la Bonne Nouvelle de Jésus à notre époque ; qu’elle nous obtienne une nouvelle ardeur de ressuscités pour porter à tous l’Evangile de la vie qui remporte la victoire sur la mort ; qu’elle intercède pour nous afin que nous puissions acquérir la sainte audace de rechercher de nouvelles routes pour que parvienne à tous le don du salut.

Du Vatican, 4 juin 2017
Solennité de la Pentecôte

François

 

 

Accueillir les nouveaux paradigmes et les défis de la mission

Paradigma-missione

En reprenant la vision du Concile Vatican II, le pape François a choisi le paradigme de “l’Eglise en sortie” comme programme missionnaire de notre temps. Cette reprise est significative parce qu’elle est contextualisée dans un monde, le nôtre d’aujourd’hui, qui est dans une grande discontinuité avec le passé. “Nous ne vivons pas dans une époque de changements, mais dans un changement d’époque”: par ces mots, le pape François nous a rappelé que les vieux schémas par lesquels nous interprétions le monde et la mission ne sont plus efficaces pour répondre aux défis d’aujourd’hui. La nouvelle réalité globale exige “une mission globale”, considérée dans toute sa complexité et avec des présupposés, un style et des instruments renouvelés par rapport à la tradition du passé (EG 33).

Le schéma classique qui voyait les Eglises du Nord envoyer des missionnaires dans le Sud du monde a été dépassé par les transformations des dernières décennies, avec la globalisation et une mobilité humaine qui ont atteint des niveaux jamais vus auparavant. Aussi les circonscriptions comboniennes reflètent ce changement: dans la composition de leur personnel, dans l’envoi des missionnaires vers d’autres provinces, dans le fait que l’animation missionnaire est un engagement présent partout et non plus un domaine de service exclusif des provinces du Nord du monde.

Le critère géographique de la mission ne constitue plus le point de référence principal. Reste l’idée de frontière, mais celle-ci maintenant se qualifie dans les périphéries humaines et existentielles. C’est un grand défi pour les instituts missionnaires dont la majorité des membres d’aujourd’hui a probablement adhéré à son institut en identifiant la mission avec une zone géographique particulière. Il y a un lien affectif avec la géographie et l’histoire; la notion de “mission globale” suscite quelques malaises, la crainte de se voir ‘bloqués’ dans le Nord du monde ou dans sa province d’origine à cause de l’idée que la “mission est partout”, ou “en Europe aussi”. En réalité cette préoccupation – compréhensible et justifiée – reflète encore le schéma géographique, qui, comme nous le disions, a été dépassé. Comment alors penser d’une manière alternative, qui réponde davantage aux réalités d’aujourd’hui?

Le Pape François nous invite à partir des frontières, les “périphéries qui ont besoin de la lumière de l’Evangile” (EG 20). Celles-ci ne sont pas simplement une donnée géographique, mais le résultat d’un système économique et financier qui engendre l’exclusion, de la culture des déchets qui produit l’appauvrissement et la violence. Porter la lumière de l’Evangile dans ces périphéries demande avant tout l’insertion, c’est-à-dire:

  • une présence enracinée sur le territoire;
  • une implication dans la vie quotidienne des personnes;
  • la solidarité avec leurs souffrances et leurs instances;
  • accompagner cette humanité tout au long de tous ses processus, aussi longs et prolongés qu’ils soient.

Ici se trouve la clé de l’approche ministériel: cet accompagnement n’est pas générique, il ne s’agit pas d’une pastorale ordinaire portée dans les périphéries. Au Chapitre Général de 2015 on a vu que nous sommes présents, insérés dans quelques périphéries très significatives selon notre charisme, par exemple parmi les afro-descendants et les peuples indigènes de l’Amérique Latine, ou parmi les populations de pasteurs et les habitants des bidonvilles en Afrique. Mais souvent il n’y a pas une pastorale spécifique qui tient compte de la particularité du contexte, des situations, de la culture locale, de l’unicité de ce peuple-là. Une pastorale qui, dans la complexité du monde d’aujourd’hui, exige l’articulation de plusieurs ministères et une évangélisation comme œuvre de la communauté. Des communautés apostoliques qui non seulement collaborent en identifiant ses propres dons, mais aussi qui témoignent du Règne de Dieu en vivant la fraternité et la communion dans la diversité.

Tous ces éléments ne sont pas ‘nouveaux’; pris en eux-mêmes, ils peuvent déjà se trouver dans différentes expériences de notre Institut et on en a déjà parlé dans plusieurs Chapitres. Mais nous sommes appelés à les assumer dans une perspective nouvelle, ou comme un paradigme, c’est-à-dire un point de vue sur la mission qui en réorganise tous les aspects fondamentaux. L’image de “l’Eglise en sortie” est une icône qui suggère une idée de mission et une méthodologie pastorale (prendre l’initiative, s’impliquer, accompagner, fructifier, fêter, EG 24). Elle est paradigmatique, parce qu’elle demande qu’aussi d’autres dimensions fondamentales, comme la formation et l’organisation de notre Institut, deviennent cohérentes et finalisées à cette mission.

A ce point, comment pouvons-nous accueillir en pratique ce paradigme et quels sont les défis que nous devons affronter? Le Chapitre nous suggère de commencer par la mission, en partant de l’identification des priorités continentales, partagées par plusieurs circonscriptions et vécues avec une collaboration plus étendue, au niveau interprovincial ou continental. Dans le contexte de ces priorités, nous sommes appelés à développer des pastorales spécifiques pour requalifier notre présence et notre service missionnaire. En tenant ferme ce point central, nous aurons un point de référence pour repenser aussi notre formation et la réorganisation de notre Institut.

  1. Développer des pastorales spécifiques

Développer une pastorale spécifique est une tâche ecclésiale qu’on ne peut pas faire seuls. Cela demande dialogue, participation, collaboration, pluralité des compétences et des expériences. Surtout est nécessaire une méthode qui permette de valoriser tous les apports, d’accueillir les expériences et les perspectives différentes et de créer la communion dans la diversité. Una pastorale spécifique est assumée quand, malgré la diversité des points de vue, des perspectives théologiques, de sensibilité et des ministères, tous peuvent s’y reconnaître sans perdre leur identité. Ce point a une importance fondamentale, surtout pour un Institut qui est en train de grandir dans l’internationalité et qui commence à vivre le défi de l’interculturalité.

Tout cela est possible à partir du partage depuis la base des expériences les plus transformatrices par rapport à la pastorale spécifique prise en considération avec une approche de “Appreciative Inquiry”. La réflexion commune sur ces expériences régénératrices fait naître de nouvelles intuitions et compréhensions de ce qui fait devenir fructueux un ministère dans ce contexte précis.

Pour mieux en comprendre la raison de l’efficacité et pour en approfondir les dynamiques, ces expériences doivent être confrontées avec une analyse socioculturelle des contextes de la pastorale spécifique, pour en saisir le cadre d’ensemble, ses dynamiques et ses tendances.

D’une manière analogue, une réflexion théologique et ministérielle spécifique sur cette réalité nous aide à mieux focaliser nos ministères et à identifier les instruments opérationnels les plus adaptés.

Le passage suivant est celui du discernement participé de quelques principes qui peuvent nous guider dans un contexte pastoral spécifique. Justement parce qu’elles sont des lignes guides, ils ne donnent pas des solutions fabriquées à priori, mais ils laissent l’espace pour s’adapter à des situations particulières et pour la créativité. Sur cette base il sera possible de construire un chemin de communion où expérimenter, rechercher, apprendre, partager, échanger des expériences et des personnes, documenter des découvertes et des résultats, et ainsi de suite, dans des cycles continus d’action-réflexion (Action Learning).

  1. La réorganisation

Pour arriver à développer et à soutenir des pastorales spécifiques, il est nécessaire d’arriver graduellement à réorganiser nos présences et notre manière d’opérer. Jusqu’à maintenant notre présence missionnaire a été fondée essentiellement sur le critère géographique: les confrères sont affectés à une province et ensuite, selon les besoins, ils sont envoyés dans une communauté. Cette structure reflète le présupposé que – au-delà de quelques services particuliers – généralement le travail missionnaire consiste dans la fondation ou le développement jusqu’à leur maturité des communautés chrétiennes ou des paroisses. Mais celle-ci n’est pas l’unique manière de penser l’organisation du travail missionnaire.

Par exemple, les Jésuites, depuis quelques décennies, ont commencé à penser leur service missionnaire aussi comme une réponse aux besoins humaines des réfugiés (JRS), des personnes affectées par le SIDA (AJAN), et aux situations d’injustice (centres de foi-justice – Faith-justice). Les personnes sont préparées de manière adéquate et affectées à ces services.

Au cours des années récentes, aussi l’Institut combonien a commencé une réflexion sur l’approche ministérielle, en regardant en particulier quelques groupes humains qui subissent l’exclusion et à des ministères dans des domaines prioritaires (AC ’03 n. 43 e 50; AC ’09 n. 62-63; AC ’15 n. 45). Certainement l’élément géographique ne peut pas être mis de côté, aussi pour le fait que ces groupes humains sont situés dans l’espace, l’insertion dans l’Eglise locale exige aussi une présence paroissiale, mais le critère de référence est le ministère spécifique en faveur de ces peuples, ce qui demande:

  1. Des équipes pastorales. Elles sont composées par différents ministres, avec des compétences spécifiques et une variété de dons personnels, qui collaborent comme équipe. Etant donnée la complexité du monde d’aujourd’hui, il est opportun de mettre ensemble des compétences de genre différent, y compris par exemple celles qui viennent des sciences humaines et sociales. La diversité des compétences est une aide pour la collaboration; la différence des nationalités et des cultures à l’intérieur de l’équipe, vécue dans la fraternité, sont un signe prophétique dans un monde toujours plus divisé et conflictuel. Cette communion/solidarité est ce qui caractérise une équipe pastorale, qui n’est pas seulement une équipe de travail unie et efficace, mais une fraternité de disciples-missionnaires. Evidemment, des communautés qui ont un nombre moyennement élevé de membres auront plus de possibilités d’être significatives, pouvant mettre ensemble des compétences et des ministères complémentaires et transversaux (par exemple JPIC), mieux absorber les absences à cause de congé ou pour des raisons de santé, développer une réflexion plus riche et partager des compétences et des ressources avec d’autres communautés engagées dans la même pastorale spécifique. Cela demande la réduction du nombre de communautés, mais cela facilite le travail en réseau, du niveau local au niveau interprovincial.
  2. Travailler en réseau. L’équipe pastorale ne travaille pas dans l’isolement, mais avant tout elle est insérée et elle collabore avec l’Eglise locale. Elle va aussi plus loin, en coopérant avec différentes composantes de la société civile pour une transformation sociale inspirée par les valeurs du Règne. Il y a aussi d’autres niveaux de collaboration que l’expérience nous signale comme critiques: par exemple faire réseau avec d’autres communautés et des équipes ministérielles, soit au niveau régional soit au niveau international. Sans ce support et une impulsion continue vers l’ouverture et la croissance, pour l’échange et le partage des ressources, une équipe locale se trouvera bientôt sans oxygène. Surtout pour ce qui concerne la recherche, l’expérimentation, l’apprentissage continu et la réflexion sur les bonnes pratiques et l’innovation. Le monde continue à se déplacer, tandis que l’équipe risque de s’arrêter et de se fossiliser, ou de réagir face aux situations au lieu d’y répondre avec créativité.
  3. Des structures de soutien. Les différentes équipes engagées dans la même pastorale spécifique au niveau local ont besoin de structures de liaison et de soutien. Cela serait aussi le contexte le meilleur pour proposer des parcours de formation permanente, de recherche et d’expérimentation, pour mieux accompagner les personnes dans leur chemin d’inclusion et de transformation. La collaboration avec des institutions académiques et de recherche, par exemple, peut devenir une ressource utile, et aussi celle de secrétariats spécifiques et des processus de recherche et d’action participée. Il faut aussi repenser les structures dans lesquelles nous vivons ou que nous administrons dans notre ministère. Celles-ci en effet peuvent poser une certaine distance entre les personnes et les missionnaires, ou aussi les absorber tellement dans leur administration qu’ils perdent le contact direct avec les personnes ou la disponibilité à côté d’elles. Il faut aussi remarquer que le Fonds Commun Total est une opportunité qui peut nous aider à faire un programme participé et qui responsabilise dans le contexte d’une pastorale spécifique au niveau provincial. La dimension économique, en effet, concerne le choix des styles, des moyens, de la coopération et du programme d’un secteur pastoral, avec lequel interagissent les projets communautaires. Enfin la réduction et la requalification des présences et des services missionnaires demandées par le dernier Chapitre Général deviendront une réalité si nous aurons les instruments et la méthode pour les réaliser à travers des chemins de communion, inclusifs et participés. C’est là que se joue l’efficacité d’un leadership qui n’est pas seulement administratif, mais qui nous conduit vers un nouveau printemps.
  1. Une formation adéquate

Aussi la formation de base doit être revue pour développer des compétences ministérielles, surtout pour ce qui concerne le curriculum des scolastiques. Les programmes de théologie, qui généralement offrent une préparation théologique académique, ne forment pas nécessairement des attitudes et des compétences utiles pour l’approche ministérielle et n’offrent pas le soutien, les méthodologies et les instruments pratiques qui pourraient être utiles pour une pastorale spécifique. Et nous savons bien qu’un curriculum d’études est d’autant plus utile s’il va à l’encontre des choix des ministères spécifiques de notre Institut. On pourrait pourtant penser à la possibilité de qualifier la formation dans les scolasticats avec des orientations cohérentes avec les priorités ministérielles du continent où ils se trouvent. Même si un confrère se trouvera à travailler dans des contextes différents, il aura la possibilité d’y transférer les compétences ministérielles acquises qui constitueront une base meilleure pour en apprendre de nouvelles.

En conclusion, accueillir le nouveau paradigme de la mission ne signifie pas jeter à la poubelle le passé pour introduire seulement des choses complétement nouvelles. Il s’agit plutôt de réorienter et d’intégrer les différents aspects de la vie et du service missionnaire (pastorales spécifiques, personnes, réorganisation, économie) autour de la vision de mission indiquée par le Chapitre et des processus participatifs de requalification de nos présences et du service missionnaire.
Fr. Alberto Parise mccj

Questions

  1. Pour développer des pastorales spécifiques une lecture approfondie de la réalité est nécessaire. Est-ce que c’est une pratique commune (dans les communautés, les zones, les circonscriptions et les continents) de faire une lecture de la réalité (par exemple à travers l’adoption du cercle herméneutique) pour identifier les nécessités pastorales et adopter des modalités de présence et d’intervention qui rencontrent ces nécessités?
  2. Quels pas ont été faits dans ta circonscription pour repenser les objectifs, la structure, le style et les méthodes d’évangélisation selon une optique ministérielle?
  3. Les ministères spécifiques (qui concernent, par exemple, les afro-descendants et les peuples indigènes en Amérique Latine, les peuples pasteurs en Afrique et les résidents dans les bidonvilles, les réfugiés, etc.) demandent non seulement des équipes pastorales mais aussi un travail en réseau et des structures de soutien avec des perspectives pastorales continentales. Est-ce que notre programmation pastorale arrive-t-elle à dépasser les limites géographiques de la circonscription pour adopter une approche continentale? Quelles sont les structures continentales qui devraient être renforcées pour favoriser un critère continental face aux nécessités pastorales communes?

 

Bonne fête du Sacré Cœur

Sagrado Corazon

La solennité du Sacré Cœur de Jésus est célébrée vendredi prochain le 23 Juin. «Vivons donc cette fête qui nous est tellement chère en tenant les yeux fixés sur le Cœur de Jésus, en nous laissant enrichir par le témoignage de ceux qui nous ont précédés tout au long de l’histoire de notre Institut et en nous engageant toujours davantage dans la fidélité quotidienne aux valeurs de l’Evangile. Bonne fête du Sacré Cœur! En l’année du 150ème de la Fondation de notre Institut.» (Le Conseil Général).

“Dieu en effet a tant aimé”

«Dieu en effet a tant aimé le monde qu’il a donné son fils unique, afin que toute personne qui croit en lui ne périsse pas mais ait la vie éternelle. Car Dieu n’as pas envoyé le Fils dans le monde pour condamner le monde, mais pour que le monde soit sauvé par lui»
(Jn 3,16).

Très chers Confrères,
Avec nos salutations et nos prières: bonne fête du Sacré Cœur de Jésus.

Dieu notre Père a envoyé son Fils unique, comme signe de son amour pour l’humanité qui est dans la nécessité et la souffrance, et il nous a tous consolé à travers l’Esprit Saint, don de son Fils Jésus Christ, notre Seigneur crucifié et ressuscité. Nous croyons que chaque disciple, homme et femme, est appelé et envoyé à annoncer, témoigner et servir cet amour de Dieu. Nous tous remercions le Seigneur, car il a fait de saint Daniel Comboni et de nous ses fils, les Missionnaires Comboniens, des messagers, des témoins et des serviteurs de son amour.

Tout ce que notre Père Fondateur, Saint Daniel Comboni, a saisi du grand amour de Dieu, le ramenait au Sacré Cœur de Jésus, le symbole de l’amour de Dieu pour l’humanité.

«Ayant extrêmement besoin de l’aide du Sacré-Cœur de Jésus, souverain de l’Afrique Centrale, qui est lui-même la joie, l’espérance, le bonheur, et le tout de ses pauvres Missionnaires, je m’adresse à vous, ami,… pour recommander et confier au Sacré-Cœur les intérêts les plus précieux de ma laborieuse et difficile Mission à laquelle j’ai consacré toute mon âme, mon corps, mon sang et ma vie!» (Ecrits, 5255-5256).

Chers confrères, en cette année où nous célébrons les 150 ans de notre Institut Missionnaire, nous voulons continuer à contempler et remercier Dieu, pour l’amour vécu dans sa vie par saint Daniel Comboni et par tant de nos confrères et pour la grande générosité envers le peuple de Dieu, malgré notre fragilité, nos limites et nos péchés.

«Je viens faire cause commune avec chacun de vous, et le plus heureux de mes jours sera celui où je pourrai donner ma vie pour vous» (Ecrits, 3159).

Oui, Comboni et nos confrères ont accepté que leur cœur soit élargi afin qu’il ressemble davantage à celui de Jésus, de manière à pouvoir faire cause commune et participer avec générosité à la mission de Dieu au milieu des peuples où nous sommes présents, et surtout au milieu de ceux qui souffrent, qui sont marginalisés et appauvris.

«Je me trouve toujours avec mes chers lépreux, je leur parle de la bonté du Seigneur et je leur enseigne la parole de Dieu. L’église se trouve proche de ma maisonnette, Jésus est proche de Giosuè: qui peut être plus heureux que moi? N’est-ce pas là un petit paradis? Pour ce qui concerne la maladie qui m’a visité, oh, je vais donner un baiser à la main du Seigneur qui m’a fait cadeau de la lèpre; pouvoir souffrir ainsi, pour ces âmes, n’est-ce pas une grâce? J’ai un unique désir: mourir lépreux au milieu de mes lépreux!» (Fr. Giosuè Dei Cas, 1880-1932)

Oui, nous continuons à remercier le Seigneur pour chacun de nos confrères qui font cause commune et qui annoncent Jésus Christ et son Evangile pour construire le Règne de Dieu, en rappelant que certains d’entre eux ont payé de leur vie leur propre témoignage.

«La Croix est la solidarité de Dieu, qui assume le chemin et la douleur humaine, non pas pour la rendre éternelle mais pour la supprimer. La manière par laquelle il veut la supprimer n’est pas à travers la force ni par la domination, mais par la voie de l’amour. Le Christ a prêché et a vécu cette nouvelle dimension. La peur de la mort ne l’a pas fait désister de son projet d’amour. L’amour est plus fort de la mort» (P. Ezechiele Ramin, Homélie aux Fidèles, Vendredi Saint, Cacoal, le 5.4.1985).

Vivons donc cette fête qui nous est tellement chère en tenant les yeux fixés sur le Cœur de Jésus, en nous laissant enrichir par le témoignage de ceux qui nous ont précédés tout au long de l’histoire de notre Institut et en nous engageant toujours davantage dans la fidélité quotidienne aux valeurs de l’Evangile.
Bonne fête du Sacré Cœur!
En l’année du 150ème de la Fondation de notre Institut
Le Conseil Général MCCJ

Rappeler et raconter la mission

P.-Mariano-Tibaldo Beaucoup de fois je me suis demandé – écrit P. Mariano Tibaldo (dans la photo) – comment mon expérience missionnaire a caractérisé ma manière de percevoir les autres, ma relation avec la réalité, avec Dieu et avec mon être missionnaire. En d’autres mots, quels sont-ils les parcours qui m’ont porté à être ce que je suis, comment les contacts avec des personnes qui ont une culture et une sensibilité différente m’ont changé, comment la vie commune avec des confrères marqués par des expériences positives mais aussi tragiques m’a transformé, et comment des situations porteuses de significations, denses et parfois dramatiques, ont affiné ma sensibilité missionnaire.

‘Raconter’ la mission alors n’est pas seulement reporter des faits et des problématiques missionnaires (surtout pas exposer des ‘paradigmes missionnaires’ qui chatouillent notre intelligence peut-être mais non pas notre cœur). Raconter la mission est ‘rappeler’ les événements fondateurs qui ont marqué la vie (dans le sens le plus vaste du terme, comme des événements-signes de réalités-autres, où on est caressé par la main invisible de Dieu), et qui font partie de notre histoire et de notre identité; le récit, alors, assume une dimension performative, car en témoignant d’un événement qui intéresse l’intelligence, le cœur, la volonté, on fait participer les autres à notre propre parcours missionnaire. Raconter la mission, en synthèse, est témoigner d’une rencontre qui mystérieusement surgit dans l’histoire et qui donne la direction du chemin. La mission naît de la rencontre avec l’amour de Dieu. Le pape François affirme cela dans l’encyclique Evangelii Gaudium (EG): “C’est seulement grâce à cette rencontre – ou nouvelle rencontre – avec l’amour de Dieu, qui se convertit en heureuse amitié, que nous sommes délivrés de notre conscience isolée et de l’auto-référence. Nous parvenons à être pleinement humains quand nous sommes plus qu’humains, quand nous permettons à Dieu de nous conduire au-delà de nous-mêmes pour que nous parvenions à notre être le plus vrai. Là se trouve la source de l’action évangélisatrice. Parce que, si quelqu’un a accueilli cet amour qui lui redonne le sens de la vie, comment peut-il retenir le désir de le communiquer aux autres?” (n. 8).

Rappeler les 150 ans de notre Institut est pourtant célébrer des événements constitutifs et fondateurs, ce ‘rocher dans lequel nous avons été creusés’ qui nous ont fait devenir ce que nous sommes et dans lesquels nous discernons la main amoureuse de Dieu, mais aussi faire mémoire des personnes qui en ont incarné les valeurs avec passion et dans le don total de soi. De ces événements nous en choisissons trois qui, me semble-t-il, ont une signification particulière dans notre vie et en particulier dans notre manière de vivre la mission, car ils en expriment les constantes, les attitudes et les dimensions fondamentales.

  1. La mort de Comboni comme un événement paradigmatique de sa vie

Je confesse d’avoir toujours été fasciné par la passion profonde de Comboni pour l’Afrique, par le fait de se laisser consommer pour l’Afrique, comme la flamme qui lentement fond la cire: comment ne pas rappeler une des dernières photos de Comboni, désormais arrivé à la fin de sa vie, avec une barbe rayée de blanc et le visage marqué par les souffrances? Mais j’ai toujours été fasciné aussi par sa mort et par l’après-Comboni, comme des événements emblématiques de sa vie. Comboni mourait, quand à l’horizon s’amoncelaient les nuages de la révolution du Mahdi, qui aurait balayé les missions du Soudan. Quelques jours avant sa mort il avait écrit au p. Sembianti une lettre qui terminait avec ses mots: “Je suis heureux de la croix, parce que si elle est portée volontiers pour l’amour de Dieu, elle engendre le triomphe et la vie éternelle. Ce sont des paroles qui, du point de vue purement humain, semblaient contredire l’évidence, au moins pour ce qui concerne le ‘triomphe’ de sa mission. Qui comme lui pouvait comprendre l’énormité de la mission et la pauvreté des forces? Un héritage recueilli par Johan Dichtl, qui assista Comboni au cours de ses dernières heures de vie, mais qui était encore trop jeune, ainsi paraissait-il, pour poursuivre cette mission surhumaine. Un héritage qui semblait se fermer tragiquement peu de temps après, avec l’arrivée de la Mahdia.

Comboni était enterré dans le jardin de la mission, à côté du tombeau du premier pro vicaire apostolique, le jésuite Massimiliano Ryllo. Après la révolution, en 1901, le vicaire apostolique de ce temps-là, Mgr. Roveggio, revint au cimetière de la mission pour exhumer les dépouilles. “[…] on est revenu dans le jardin de la mission de Khartoum – écrit Domenico Agasso dans sa biographie de Comboni – près des tombes du père Ryllo et de monseigneur Comboni. La première est trouvée intacte. […]. De Daniel Comboni, par contre, dans cette destruction, seulement quelques os mélangés avec la terre […]. Seulement peu de restes […]: le corps du vicaire apostolique est resté là, en grande partie, mélangé avec la terre. Le don total […] Comboni et l’Afrique, une seule chose[1]. Une scène émouvante, des paroles qui expriment encore davantage la passion profonde de Comboni, dont non seulement la vie mais aussi la mort semble appartenir à l’Afrique. Un événement, je crois, hautement symbolique: le corps de Comboni, “mélangé avec cette terre” qui semble la féconder. Une appartenance, la sienne, au-delà de la mort. Mais au-delà de l’émotion, le point de vue humain nous conduirait à penser que le grand rêve de Comboni échoue, comme d’autres expériences avant la sienne.

Je crois que les paroles du pape François nous illuminent, quand dans Evangelii Gaudium, il formule un principe fondamental pour la construction d’une nouvelle société: le temps est supérieur à l’espace. “Donner la priorité au temps – affirme le Pape –  c’est s’occuper d’initier des processus plutôt que de posséder des espaces. Le temps ordonne les espaces, les éclaire et les transforme en maillons d’une chaîne en constante croissance, sans chemin de retour. Il s’agit de privilégier les actions qui génèrent les dynamismes nouveaux dans la société et impliquent d’autres personnes et groupes qui les développeront, jusqu’à ce qu’ils fructifient en évènement historiques importants. Sans inquiétude, mais avec des convictions claires et de la ténacité.” Et encore:Ce critère est aussi très adapté à l’évangélisation, qui demande d’avoir présent l’horizon, d’adopter les processus possibles et les larges chemins” (n. 223 et n. 225).

La vie et la mort de Comboni comme une action génératrice d’un processus de changement à travers des personnes qui, même si peu nombreuses, en continuent le rêve. Pourtant, un critère de méthode missionnaire et d’animation missionnaire est celui de mettre en œuvre des actions génératrices qui, même si elles apparaissent insignifiantes, déclenchent un mouvement de transformation, en associant des personnes qui deviennent elles aussi un instrument du changement. Les exemples de cela ne manquent pas dans notre histoire. Une brève référence au Fr. Michele Sergi et à son ‘club’ à Khartoum, un point de rencontre et de formation pour les jeunes, une réalisation sans trop de prétentions, mais beaucoup parmi ceux qui y ont été formés sont devenus des pionniers de l’évangélisation dans les zones du Sud Soudan où les missionnaires n’étaient pas encore arrivés.

  1. P.-Mariano-TibaldoAprès la révolution du Mahdi

L’ouragan de la révolution du Mahdi, tout de suite après la mort prématurée de Comboni, s’abat sur nos missions. La mission de l’Afrique Centrale est balayée, les missionnaires, hommes et femmes, fuient en Egypte ou sont fait prisonniers. Pour ces derniers commencera le calvaire de la prison et des humiliations.

Vingt ans après, les missionnaires reviennent à Khartoum et ils commencent la route vers le sud pour fonder de nouvelles missions; sans de points de référence, sans expérience, sans même un manuel missionnaire. Le P. Antonio Vignato, en repensant à ses premières expériences au Soudan, décrit ainsi la situation:Un terrible retard de notre organisation de la catéchèse est dû aussi à l’inexpérience de comment organiser la mission; personne d’entre nous avait observé sur place le travail des autres missionnaires et très peu de personnes avait lu quelque chose de l’expérience des autres. Notre unique expérience venait de la colonie antiesclavagiste de Gesirah […] et des écoles de Hélouan, Suakim et d’autres semblables”[2]. Il faut repartir à zéro et refonder le rêve de Comboni, malgré les difficultés énormes et les empêchements rencontrés sur le chemin.

Perdre tout et recommencer à zéro, refonder le rêve de Comboni – ou le garder vivant au milieu des tragédies où beaucoup d’entre nous se sont trouvés – est une constante qui nous a accompagnés dès le début. C’est comme si le Seigneur nous a guidés, à travers ces expériences douloureuses et d’autres encore, vers l’essentiel de la mission. Je rappelle les destructions de la guerre en Ouganda, quand j’étais encore scolastique; des missions détruites: Maracha, Koboko et d’autres; je me rappelle de la mission de Otumbari, que les missionnaires avaient quittée sur l’ordre de l’évêque, parce que dans une zone de guerre; la douleur du p. Bernardo Sartori, devant l’ordre de quitter la mission, parce qu’il n’était pas convaincu et il a plié la tête en obéissance. Mes pensées vont à tant de confrères qui restent avec les gens, malgré les guerres et les violences, parfois en suivant le peuple comme des réfugiés. En recommençant à zéro, avec entêtement, garder vivant le rêve de Comboni, qui est en fait celui de Jésus lui-même, ou le refonder quand tout semble perdu, en passant par un processus de kénose qui est participation à la kénose de Jésus, où le travail de tant d’années et détruit et annulé; mais c’est une expérience qui peut devenir kairòs, à travers un processus de discernement guidé par l’Esprit, un moment opportun de croissance et de changement.

Voilà ainsi un appel à revenir à l’essentiel, à travers l’annulation de certitudes éphémères et de plans et de méthodes bien architecturés, si cela est uniquement le fruit de la “vaine gloire”. “Combien de fois rêvons-nous de plans apostoliques, expansionnistes, méticuleux et bien dessinés, typiques des généraux défaits! – nous rappelle le Pape – Ainsi nous renions notre histoire d’Église, qui est glorieuse en tant qu’elle est histoire de sacrifices, d’espérance, de lutte quotidienne, de vie dépensée dans le service, de constance dans le travail pénible, parce que tout travail est accompli à la “sueur de notre front”. (EG 96). Alors aussi la tragédie, les défaites, la perte, l’annulation de nos certitudes mondaines deviennent un appel à la conversion, se transforment en événements fondateurs pour revenir aux racines de notre identité et de notre mission.

En quelques traits, Evangelii Gaudium trace les dimensions d’une communauté ‘en sortie’ et de ce qui constitue l’essentiel de la mission. Le Pape François parle de prendre l’initiative, de chercher ceux qui sont loin, d’aller dans les carrefours des routes et inviter les exclus: c’est aller vers les ‘plus pauvres et abandonnés’ de notre tradition; la formule ad gentes, dans cette perspective, conserve encore sa valeur. Mais François parle aussi d’une communauté qui s’implique et qui sait “assumer la vie humaine en touchant la chair souffrante du Christ dans le peuple”, écho du ‘Faire cause commune avec le peuple’ qui fait partie de la méthodologie combonienne de l’évangélisation; mission est toucher la chair souffrante du frère – chair comprise dans plusieurs dimensions: humaines, sociales, culturelles – et invitation à ne pas “demeurer dans la pure idée et tomber dans l’intimisme et le gnosticisme qui ne donnent pas de fruit”, mais à mettre en œuvre “le critère de la réalité d’une parole déjà incarnée et qui cherche toujours à s’incarner” selon le critère pour lequel “la réalité est supérieure à l’idée (EG n. 233). François ajoute d’autres dimensions missionnaires: accompagner l’humanité dans tous ses processus, aussi durs et prolongés qu’ils puissent être; accompagner est un parcours qui connaît les attentes longues et la patience apostolique. L’évangélisation utilise beaucoup de patience, et elle évite de ne pas tenir compte des limites. ‘Sauver l’Afrique par l’Afrique’ ne souligne-t-il pas le processus de devenir des compagnons discrets, afin que les personnes deviennent les protagonistes de leur histoire? Et enfin, les critères du ‘fructifier’ et du ‘fêter’, afin que “la Parole s’incarne dans une situation concrète et donne des fruits de vie nouvelle” et “célèbre et fête chaque petite victoire, chaque pas en avant dans l’évangélisation” (EG n. 24).

Revenir à l’essentiel de la mission veut dire redécouvrir que la communauté est le sujet qui évangélise, qui prend l’initiative, s’implique, accompagne, fructifie et fête, car, dans les paroles de cette Encyclique, la communauté “est une intimité itinérante, et la communion ‘se présente essentiellement comme communion missionnaire’” animée par l’Esprit de Jésus (EG n. 23). La communauté, j’ajoute, est cette intimité itinérante qui, pendant qu’elle évangélise, elle est évangélisée, au moment où elle enseigne elle apprend, quand elle est le sujet de la mission elle en devient l’objet, dans un enrichissement mutuel du donner et du recevoir (AC ’15 n. 3, 26).

  1. Division et réconciliation

Rappeler, même si rapidement, les événements qui ont conduit à la division et ensuite à la réunion de notre Institut a des conséquences, me semble-t-il, non seulement sur notre manière de voir notre appartenance commune mais aussi sur notre manière de vivre la mission.

La division de notre Institut, décidée en 1923, fut une “blessure profonde”, comme écrit le p. Romeo Ballan dans le supplément de Familia Comboniana du mois d’avril 2017, en reprenant les commentaires des pères F. Pierli et T. Agostoni. Une division dont les raisons semblaient avoir un poids supérieur à celles pour rester unis: une formation différente, une méthode missionnaire différente, des nationalismes très forts, le tout accompagné par un manque absolu de dialogue au sommet, à qui on reproche, on a écrit cela dans le Bulletin de 1972, “la séparation en deux de l’unique corps fondé par Comboni[3]. Una division que beaucoup de comboniens, dans leur ouverture du cœur et de l’intelligence, ont vécue avec souffrance: “La séparation n’a jamais été sans regret – on insistait dans le même article – pour certains elle a été même un cas de conscience[4].

Ainsi le désir de la réunion n’a jamais disparu, parce que “le corps combonien est resté fidèle à sa vocation: pour cela l’inquiétude féconde semée par Comboni[5]. L’inquiétude qui fait dépasser les précautions réciproques et les préjugés, quand la conscience de l’appartenance commune à Comboni comme figure de fondation, et la conscience de la mission comme la raison d’être de “l’unique Institut Combonien né en mission[6] se renforcent et deviennent les raisons génératrices d’un mouvement nouveau: alors les inquiétudes deviennent actions, une histoire concrète faite de dialogues informels, recherches d’études, collaboration dans les missions, des réalisations concrètes pour une formation commune en Espagne, travail de personnes qui ont cru à la réunion telles que les pères Riedl et Farè, une histoire de décisions des Chapitres Généraux des deux Instituts, des activités de la Reunion Study Commission, jusqu’au Chapitre de 1979 qui a formellement décidé la réunification. Mais la réunification, qui est simplement un fait formel et juridique, a été précédée par le dialogue sincère, l’accueil réciproque et je dirai une sincère reconnaissance des préjugés de chacun dans la conscience de racines communes d’identité qui sont un point solide pour reconstruire l’unité. Je considère ce désir ardent de la réunification et le processus qui l’a mis en acte comme des événements fondateurs de notre identité, surtout aujourd’hui où notre Institut est en train d’assumer une forte dimension multiculturelle: nous sommes un Institut fondé sur la réconciliation et sur l’accueil réciproques, et dont la mission est de créer des communautés réconciliées: le pardon, le dialogue, la réconciliation, l’accueil de l’autre font partie de notre identité missionnaire.

Je trouve donc pertinentes les paroles de Evangelii Gaudium sur la manière de se situer vis-à-vis des conflits inévitables qui peuvent surgir dans la communauté. Le conflit, affirme le Pape, ne doit pas être caché, surtout on ne doit pas y rester prisonnier en jetant sur les autres ses propres “confusions et insatisfactions”, mais on l’accueille, on le résout, on le transforme en un maillon d’un nouveau processus” (EG n° 227). “De cette manière – poursuit le Pape – il est possible de développer une communion dans les différences, que seules peuvent faciliter ces personnes nobles qui ont le courage d’aller au-delà de la surface du conflit et regardent les autres dans leur dignité la plus profonde. Pour cela, il faut postuler un principe indispensable pour construire l’amitié sociale: l’unité est supérieure au conflit (EG n. 228). En synthèse, le conflit doit être affronté dans l’accueil de l’autre sans conditions et dans l’horizon de son identité charismatique et missionnaire; de cette manière, les différences, occasion de conflit, sont par contre transformées en potentialités au service de la mission. C’est de ces conflits acceptés, résolus, transformés, qu’on procède sur le chemin de la construction de communautés interculturelles et que la communauté elle-même devient un signe et un instrument de réconciliation et de dialogue.

P.-Mariano-Tibaldo

  1. Pour conclure: quelques nœuds problématiques

Je voudrais toucher quelques questions qui me semblent importantes dans cette première partie du XXI siècle, et je le ferai sans avoir la prétention d’avoir les solutions, mais comme des propositions pour continuer la réflexion.

J’écrivais plus haut à propos d’un Institut, où des confrères porteurs de nouvelles cultures venant du Sud Global (un caractère que j’emprunte à des sociologues) sont en train d’entrer dans notre Institut et en occupent des espaces de gestion. L’Institut est en train de changer non seulement dans les nombres, avec l’arrivée de ces confrères, mais aussi parce qu’ils portent de nouvelles manières de penser la vie religieuse, la communauté et la mission, héritage d’un milieu culturel différent. Le dialogue, qui se nourrit de l’écoute profonde des raisons de l’autre, est d’autant plus nécessaire maintenant au moment où ces différences culturelles se révèlent et des solutions à des questions qui semblaient acceptées par tous, maintenant sont remises en question.

Je me réfère en particulier à la problématique des communautés d’insertion radicale qui, selon la compréhension et la praxis communes, sous-tendent de vivre pauvrement, au niveau des pauvres et dans des structures pauvres. Je me demande si des confrères d’autres cultures, différentes de celles du monde occidental, ont une autre manière de comprendre la pauvreté, de vivre en tant que pauvre avec les pauvres et, en général, une sensibilité différente à propos de la pauvreté ‘radicale’. Je n’ai pas de solutions à cette question, je me limite à poser la question, mais en pensant que la tâche de nous écouter, surtout d’écouter soit les messages verbaux soit ceux non verbaux, nous aide dans la construction d’une communion des différences, premier pas vers la réalisation de communautés interculturelles.

Un deuxième problème concerne le caractère provisoire de nos engagements et en particulier ce qui est lié à la responsabilité de laisser un engagement (je me réfère surtout aux paroisses) une fois que celles-ci ont atteint un certain degré d’autosuffisance économique, ministérielle et missionnaire (RV n° 70). J’ajoute, comme une digression mais sans faire de polémique, que d’autres engagements aussi, non autosuffisants et qui avaient besoin de notre présence ont été remis à l’évêque parce que nous étions dans l’impossibilité de continuer notre présence, à cause de la pénurie de personnel. Les idéaux de notre Règle de Vie choquent parfois avec les limites de l’histoire. Le problème de remettre des paroisses autosuffisantes, surtout celles prospères du point de vue économique, se pose maintenant que des confrères qui appartiennent radicalement à une Circonscription considérée ‘de mission’ sont en train d’augmenter et qui justement sont en train d’en prendre la gestion. L’autonomie des circonscriptions, pour ce qui concerne l’entretien des confrères qui leur appartiennent radicalement, est un problème sérieux, auquel beaucoup de circonscriptions cherchent avec fatigue d’apporter une solution. Dans cette perspective, et à la lumière des nouvelles circonstances historiques, des affirmations et des doctrines que nous pensions être acceptées devraient être revisitées. Dans mon expérience de supérieur provincial, je me rappelle les doutes et les perplexités des confrères d’appartenance radicale quant au fait de remettre à l’évêque une paroisse solide économiquement.

Un troisième nœud problématique: la mission qui se contextualise et le système juridique de notre Institut, organisé selon des provinces et des délégations qui, en général, suivent les confins des Pays. Beaucoup de ‘situations missionnaires’, telles que les peuples pasteurs de l’Afrique de l’Ouest, les afro-descendants, les peuples indigènes de l’Amérique Latine, mais aussi les problématiques liées aux périphéries des grandes villes dépassent les confins nationaux et des circonscriptions. Dans notre Institut nous parlons en effet de ‘engagements continentaux’ en référence à de tels contextes. Je me demande s’il ne faut pas repenser la structure juridique de notre Institut, en ligne avec l’engagement missionnaire et l’adapter à la nouvelle réalité. Voir si une division juridique doit suivre une organisation basée sur les ‘situations missionnaires’ plutôt que sur les confins administratifs d’une nation. Il ne s’agit pas d’un problème nouveau: c’est une question sur laquelle avait réfléchi le Chapitre Général de 2009, mais sans y apporter une réponse. Il est vrai aussi que, pour ce qui concerne le partage et l’échange du personnel entre les circonscriptions, notre Règle de Vie prévoit une certaine flexibilité (116 et 125), mais il est vrai aussi que remodeler une circonscription (on peut aussi utiliser un autre nom) selon une ‘situation missionnaire’ aide à créer homogénéité et identité dans la circonscription même, à discerner les lignes communes de la pastorale et à faciliter, de la part du supérieur, le processus d’approfondissement des engagements assumés.

Il me semble que ces trois nœuds problématiques (et d’autres encore qui pourraient surgir) ont besoin d’une réflexion approfondie, d’un dialogue constant et d’un discernement sincère. “Continuer dans l’écoute de Dieu, de Comboni et de l’humanité, pour cueillir et pour indiquer dans la mission d’aujourd’hui les signes des temps et des lieux(AC ’15 n. 22) est une tâche à laquelle nous ne pouvons pas nous soustraire.
P. Mariano Tibaldo mccj

Questions pour une réflexion

  1. En faisant mémoire de mon histoire personnelle et/ou de celle de ma circonscription, quelles sont les expériences fondatrices qui en ont marqué la vie et où j’entrevois la présence de Dieu? De quelle manière ces événements m’ont changé et/ou ont-ils changé la vie de ma circonscription?
  2. Est-ce qu’il y a des actions génératrices qui ont déclenché une transformation de la circonscription et/ou d’une situation sociale? Quels sont les changements qui ont été apportés? Qui sont les personnes qui les ont commencés? Qu’est-ce que, de notre action missionnaire, est dû à la ‘vaine gloire’ de plans personnels plus qu’à la préoccupation de commencer des processus de changement?
  3. Quelles sont les situations difficiles au niveau personnel et/ou de ma circonscription qui ont purifié et qui ont fait devenir plus crédible mon être missionnaire et qui ont aidé ma circonscription à retrouver l’essentiel de la mission?
  4. Quels sont les conflits et comment suis-je en train de les gérer, au niveau de ma communauté et de ma circonscription?

[1] Domenico Agasso sr – Domenico Agasso jr, Un profeta per l’Africa. Daniele Comboni, Cinisello Balsamo (Milano), San Paolo, 2011, pp. 279-280.

[2] Antonio Vignato, Una pagina di storia catechetica africana, in «Combonianum», 8 (1944)2, p. 11-12. Roma, Archivio Centrale, l/A/l.

[3] Breve cronologia dei contatti tra Comboniani Italiani (FSCJ) e Tedeschi (MFSC), in «Bollettino» (1972) 97, p. 58.

[4] Ibid. p. 58.

[5] Ibid. p. 58.

[6] Ibid. p. 59.