Laïcs Missionnaries Comboniens

Vivre le présent avec passion

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P. Fernando Domingues

Les réflexions présentées ici veulent être de simples commentaires du deuxième objectif proposé par le Pape François dans sa Lettre Apostolique adressée à tous les religieux à l’occasion de l’année de la Vie Consacrée, le mois de novembre 2014, dans le but de nous aider à vivre notre temps en tant que Missionnaires Comboniens. “La passion pour un idéal, dans notre cas la mission, est liée à l’enthousiasme. La passion ne s’acquiert pas une fois pour toutes. Elle est comme un arbre que nous devons soigner et nourrir chaque jour. Il est nécessaire pour cela de tirer profit d’initiatives comme celle que nous propose le Pape pour l’Année de la Vie Consacrée, pour revoir de quelle manière sommes-nous en train de vivre notre consécration et quel est notre lien avec l’Évangile, avec notre Institut et avec la mission”, écrit P. Rogelio Bustos Juárez, mccj.

VIVRE LE PRÉSENT AVEC PASSION

« Le passé qui est mémoire et le futur qui est imagination nous les évoquons à partir du présent »
(Saint Augustin)

  1. La sequela Christi, référence première

Quand on parle de la naissance des charismes, l’histoire de la vie religieuse nous enseigne que la première chose de laquelle sont parti les fondateurs et les fondatrices a été l’Évangile. Dans la lecture attentive de la Bonne Nouvelle ils ont connu Jésus Christ, ils ont reçu la Parole et ils ont découvert la manière de le suivre. Il y en a qui ont été attentifs à Jésus comme un guérisseur, qui soignait les malades; d’autres à Jésus comme le Maître qui, avec autorité, enseignait de choses nouvelles; nous, nous avons été touchés par Jésus itinérant qui doit annoncer l’Évangile à tous les peuples, car c’est pour cela qu’il a été envoyé.

De là sont nées les Règles et les Constitutions, comme une base théorique pour rendre vivante l’intuition charismatique. Dans les Règles de 1871, notre Fondateur disait: «certainement un esprit humble qui aime sincèrement sa vocation et qui désire être généreux avec son Dieu, les observera de tout son cœur en les regardant comme le chemin que la Providence a tracé», mais il est important de dire clairement que les Constitutions, la Règle de Vie et les traditions de n’importe quel institut conservent leur vigueur seulement si et quand elles continuent de s’inspirer des valeurs évangéliques.

Pour cela le Pape écrit: «La demande que nous nous faisons en cette Année est si et comment nous nous laissons interpeller par l’Évangile; s’il est vraiment le ‘vademecum’ pour la vie de tous les jours et pour les choix que nous sommes appelés à faire. Il est exigeant et il demande à être vécu avec radicalité et sincérité. Il ne suffit pas de le lire (même si la lecture et l’étude gardent une importance extrême), il ne suffit pas de le méditer (et nous le faisons avec joie chaque jour). Jésus nous demande de le mettre en pratique, de vivre ses paroles.

Je ne suis pas sûr qu’après avoir terminé notre formation de base, tous nous avons pris au sérieux notre formation permanente. Aujourd’hui on parle de société liquide et d’amour liquide (cf. Z. Bauman) pour faire allusion à la rapidité avec laquelle le monde, la société, l’Église et la vie religieuse sont en train de changer.

L’Évangile est la source qui, par son dynamisme et son actualité, peut nous indiquer des chemins vers lesquels tourner nos pas. A ce propos, un instrument utile peut être le troisième chapitre de Evangelii gaudium (n. 111-173), où le pape François nous invite à revoir la manière dont nous approchons la Parole et nous l’annonçons.

Mais il ne suffit pas d’être des experts en théologie biblique ou en sciences pastorales, si nous ne savons pas mettre en pratique ce que nous annonçons. Nous sommes invités à revoir la place que la Parole occupe dans notre vie; si elle est vraiment ce guide sûr auquel nous faisons recours quotidiennement et qui, petit à petit nous fait ressembler à notre Maître.

  1. Conformer notre vie au modèle du Fils
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P Manuel Pinheiro. Peru

Si c’est Jésus Christ celui que nous suivons, cela pourra nous aider que de méditer sur la deuxième partie de notre nom, «du Cœur de Jésus», parce que le Seigneur nous permettra d’approfondir notre identité. Quand en 1885, à travers Mgr. Sogaro, le Saint Siège nous accorda de devenir une Congrégation religieuse, nous fûmes appelés: «Fils du Sacré Cœur de Jésus». En 1979 nous arrivâmes à la réunification et nous sommes renés avec le nom de Missionnaires Comboniens du Cœur de Jésus. Il est intéressant le fait qu’on a maintenu la référence au Cœur de Jésus.

Le pape François, dans sa lettre, soutient que si le Seigneur est notre premier et unique amour, nous pourrons apprendre de lui ce qu’est l’amour et nous saurons aimer parce que nous aurons son cœur à lui, c’est-à-dire que nous nous identifierons avec Lui. C’est ce qu’ont médité et partagé avec nous quelques Pères de l’Église.

Saint Irénée de Lyon, par exemple, parle de «Jésus Christ qui, par son amour surabondant, est devenu ce que nous sommes pour faire de nous ce que Lui il est» (Contre les Hérésies, Préface du livre V).

Saint Grégoire de Nazianze développe un autre aspect: «Dans ma condition terrestre, je suis lié à la vie d’ici-bas, mais étant aussi une petite partie divine, je porte en moi ce désir de la vie future».

L’homme n’est pas seulement ordonné moralement, réglé par un décret qui concerne le divin, mais il est du ghenos, de la race divine, comme le dit saint Paul, il est «de la race de Dieu» (Ac 17,29).

Saint Athanase, dans son «Traité sur l’incarnation du Verbe», soutient que le Logos divin s’est fait chair, en devenant comme nous, pour notre salut. Et dans une phrase devenue justement célèbre, il écrit que le Verbe de Dieu «est devenu homme pour que nous puissions arriver à être Dieu; il est devenu visible corporellement afin que nous puissions avoir une idée du Père invisible, et il supporta la violence des hommes afin que nous héritions l’incorruptibilité» (54,3).

Notre Fondateur, saint Daniel Comboni, en faisant sienne la spiritualité de son temps, sut répondre aux défis de la mission en s’inspirant de la spiritualité du Sacré Cœur, en élargissant sa signification, en lui donnant une empreinte davantage sociale et missionnaire.

Pour résumer, si ceux qui ont approuvé notre nom ont jugé opportun et nécessaire y mettre la référence au Cœur de Jésus, il est donc nécessaire que nous nous identifiions toujours davantage avec ses sentiments et que nous les traduisions en des attitudes. Nous suivons Jésus non pas de n’importe quelle manière, mais en nous efforçant de devenir “cordiaux” dans notre manière de faire, d’être le reflet et l’expression des sentiments du Fils de Dieu. Tout cela a des conséquences dans la vie personnelle et communautaire. Au point de nous faire devenir une parabole existentielle, un signe de la présence de Dieu même dans le monde (cf. Vita Consecrata n. 22).

3. Fidèles à la mission qui nous est confiée

Le troisième point nous invite à revoir notre fidélité au mandat que nous avons reçu de nos fondateurs. L’intuition charismatique est en même temps don et responsabilité. Don, parce que nous n’avons rien fait pour le recevoir à travers la personne et le travail de nos fondateurs, et qui a été reconnu par l’Église; et donc nous avons la responsabilité de ne pas le modifier ni l’altérer, mais d’être les continuateurs de ce cadeau qui a été mis dans nos mains.

Ici on pourrait avoir deux lectures: ou bien nous accrocher à la pensée et à l’œuvre de notre Père et Fondateur, avec la prétention, par fidélité charismatique, de reproduire sine glossa ce que lui avait fait; ou bien d’agir de telle manière que tout ce que nous faisons ne ressemble pas du tout à ce qui est suggéré par nos fondateurs et nous agissons en totale liberté, en interprétant les nouveaux défis à notre guise, et nous éclaboussons l’héritage que nous avons reçu il y a 150 ans.

Je crois qu’il est bon d’éviter ces deux extrêmes. Il est en effet nécessaire de recueillir la flamme des mains de ceux qui nous ont précédés en gardant la lucidité pour découvrir comment devons-nous répondre aux défis du présent sans affaiblir l’originalité charismatique. Cela a été, me semble-t-il, l’objectif de la Ratio Missionis et du travail de requalification de nos engagements, sur lequel notre Institut a insisté au cours de ces dernières années.

Le pape François nous exhorte à nous demander, en cette année de la Vie Consacrée, si nos ministères, nos œuvres et nos présences répondent à ceux que l’Esprit saint a demandés à nos fondateurs. En quelques mots, il nous invite à vivre dans une attitude de discernement constant pour ne pas nous tromper et pour être ainsi le reflet et l’expression de ce charisme ecclésial que nous avons reçu.

4. Devenir des experts en communion

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P Gino Pastore. Moçambique

Etant ainsi les choses et en considérant la valeur qui a pour nous la vie fraternelle, il serait opportun de nous interroger sur la qualité de notre vie en commun. A ce propos, notre Fondateur a été très clair quand il décrit les caractéristiques de son Institut: «Cet Institut devient ainsi comme un petit Cénacle d’Apôtres pour l’Afrique, un point lumineux qui envoie jusqu’au centre de la Nigritie autant de rayons qu’il compte de missionnaires zélés et saints; ces rayons qui brillent et qui réchauffent à la fois, manifestent nécessairement la nature du centre d’où ils sont issus» (Ecrits 2648).

Elle est intéressante l’image utilisée par saint Daniel: «Cénacle d’apôtres». Le cénacle est la chambre haute, où le Maître confia à ses disciples ce qu’il portait dans son cœur la veille de son geste de donation le plus haut. Demeurer ensemble est la réalité qui nous transcende et qui nous rapproche de Dieu quand nous vivons dans la communion avec nos frères. C’est aussi l’espace d’intimité, où nous pouvons ouvrir notre cœur à nos compagnons de route et nous monter tels que nous sommes. Là où nous partageons ce que nous sommes, en découvrant nos dons et nos limites et ceux des personnes qui vivent avec nous. Du point de vue théologique, la Trinité est notre modèle: trois personnes distinctes mais un seul Dieu. Vivre ensemble nous aide à partager nos dons et à accueillir la richesse de ceux qui vivent avec nous. Nous sommes différents, mais nous cultivons et nous promouvons l’unité, à travers le respect et la tolérance. Dans un Institut international comme le nôtre, le défi est grand mais non impossible.

Dans l’image utilisée, on fait référence aussi à l’apostolicité. De ce «cénacle d’apôtres» sortiront comme des «rayons» les missionnaires zélés et saints pour illuminer des situations de ténèbres: le Pape parle de choc, de rencontre difficile entre de cultures différentes, d’oppression envers les plus faibles, d’inégalités… et nous pourrions continuer avec une liste de situations que nous connaissons et que nous avons rencontrées dans notre service dans les différentes régions du monde où nous travaillons. Dans tout cela nous sommes appelés à porter une parole d’espérance et d’encouragement, à illuminer les ténèbres et à partager une expérience de fraternité, fruit de la communion que nous avons expérimentée. Nous ne fonderons pas la force et l’efficacité de notre vocation missionnaire sur les ressources matérielles que nous pourrons porter en mission, mais sur la disponibilité à partager l’expérience authentique de Dieu que nous avons et sur la dose d’humanité que nous pouvons transmettre. La qualité de la vie missionnaire dépendra du temps que nous sommes disposés à consacrer aux personnes marginalisées par la société. Notre place en tant que missionnaire – et cela nous est reconnu par la plus grande partie des Églises locales – est là où il y a des tensions et des différences, là où se trouvent des situations contraires à la condition humaine. C’est là que nous devons porter la présence de l’Esprit, en donnant un témoignage d’unité (Jn 17, 21), comme nous le rappelle le Pape.

Tout cela se traduit dans un style propre qui doit être marqué par l’écoute, le dialogue et la collaboration avec les personnes que nous contactons. Même si nous sommes des personnes dynamiques et capables, si nous ne sommes pas capables de travailler ensemble, nous donnerons difficilement un témoignage de l’amour trinitaire sur lequel se fonde la vie communautaire. Les différences ne doivent pas nous empêcher de donner le témoignage de l’unité devant l’Église et devant le monde.

5. Passionnés pour le Règne

Une dernière considération: suivre Jésus, désirer de ressembler à son cœur, demeurer amoureux de la mission et être des bâtisseurs – et non seulement des consommateurs – de la communauté, sera possible dans la mesure où nous allons maintenir vivante la passion pour le Règne de Dieu. Si nous regardons bien, beaucoup d’entre nous montrent une certaine dose d’irresponsabilité dans la manière d’administrer le temps et les biens que nos mains reçoivent. Si nous perdons le contact avec les personnes, il sera difficile d’imaginer dans quel manque de biens vivent la majorité de nos gens. Dans sa Lettre, le pape François, en citant Jean Paul II, affirme: «La même générosité et le même esprit d’abnégation qui ont animé nos fondateurs doivent pousser vous, leurs fils spirituels, à garder vivants les charismes qui, avec la même force de l’Esprit qui les a fait naître, continuent de s’enrichir et de s’adapter, sans perdre leur caractère authentique, pour se mettre au service de l’Église et porter à son accomplissement l’instauration de son Règne».

Pourquoi quelques-uns de nos candidats perdent l’enthousiasme des débuts quand ils commencent à faire partie de notre Institut? Pour quelles raisons il est tellement facile pour beaucoup d’entre nous quitter d’être Comboniens quand apparaissent des difficultés et des mésententes? Pourquoi il nous est toujours plus difficile d’obéir et de répondre aux défis qui se présentent devant nous? Pourquoi diminue notre passion pour l’Évangile et pour tout ce qui concerne la mission? Pourquoi beaucoup vivent comme des retraités avant le temps? Est-ce que peut-être ce n’est pas parce que nous avons délaissé des références fondamentales liées à notre identité, raison pour laquelle nous quittons la route et nous perdons la direction?

La passion pour un idéal, dans notre cas la mission, est liée à l’enthousiasme. La passion ne s’acquiert pas une fois pour toutes. Elle est comme un arbre que nous devons soigner et nourrir chaque jour. Il est nécessaire pour cela de tirer profit d’initiatives comme celle que nous propose le Pape pour l’Année de la Vie Consacrée, pour revoir de quelle manière sommes-nous en train de vivre notre consécration et quel est notre lien avec l’Évangile, avec notre Institut et avec la mission.
P. Rogelio Bustos Juárez, mccj

Rencontre des aspirants LMC au Ghana

Ghana

Nous avons tenu notre réunion ce 14 février. Premièrement, nous eûmes une présentation sur le Thème « La spiritualité de Comboni » par notre Aumônier le P. Godwin Kornu. Il nous montra d’abord les livres qui pourront nous aider dans notre cheminement : Les Ecrits de Comboni, La passion d’une vie de Don Lozano, Nous les Héritiers de Pierli. Il expliqua ensuite le terme Spiritualité par la manière dont une personne expérimente Dieu, elle-même et le monde dont elle fait partie. C’est le Christ qui donne forme à notre spiritualité mais elle est influencée par le temps et notre environnement. Pour parler de la spiritualité d’une personne, il faut connaître son histoire, la manière dont elle a fait sa rencontre personnelle avec Dieu. Cette expérience d’une personne est unique. Le père nous a conduit à découvrir que “le cœur qui aime est un cœur qui souffre » et « ce qui est bien n’est pas relatif » ce qui veut dire que nos traditions et cultures ne peuvent déterminer ce qui est bien. Le bien est bien par lui-même. Le relativisme est un point que le Pape Emérite Benoît XVI a condamné. (Le thème est assez large alors maintenant ce n’est que l’introduction).

Ghana

Après la présentation, nous continuâmes avec la lecture du P.V. de la dernière réunion avec certaines corrections. Des sujets assortis du P.V., nous décidâmes de nous imposer une somme qui peut être payée de maintenant jusqu’à la seconde prochaine réunion en avril. Enfin, nous avons prévu une recollection pour le 14 mars pour nous refaire dans le Temps de Carême. La réunion fut conduite à sa fin avec la prière finale et la bénédiction. Après cela, nous eûmes l’agape.

Justin Nougnui, coordinateur.

Tenez ferme

MESSAGE DU PAPE FRANÇOIS
POUR LE CARÊME 2015

Tenez ferme (Jc 5, 8)

Papa FranciscoChers frères et sœurs,

Le Carême est un temps de renouveau pour l’Église, pour les communautés et pour chaque fidèle. Mais c’est surtout un « temps de grâce » (2 Cor 6, 2). Dieu ne nous demande rien qu’il ne nous ait donné auparavant : « Nous aimons parce que Dieu lui-même nous a aimés le premier » (1 Jn 4, 19). Il n’est pas indifférent à nous. Il porte chacun de nous dans son cœur, il nous connaît par notre nom, il prend soin de nous et il nous cherche quand nous l’abandonnons. Chacun de nous l’intéresse ; son amour l’empêche d’être indifférent à ce qui nous arrive. Mais il arrive que, quand nous allons bien et nous sentons à l’aise, nous oublions sûrement de penser aux autres (ce que Dieu le Père ne fait jamais), nous ne nous intéressons plus à leurs problèmes, à leurs souffrances et aux injustices qu’ils subissent… alors notre cœur tombe dans l’indifférence : alors que je vais relativement bien et que je suis à l’aise, j’oublie ceux qui ne vont pas bien. Cette attitude égoïste, d’indifférence, a pris aujourd’hui une dimension mondiale, au point que nous pouvons parler d’une mondialisation de l’indifférence. Il s’agit d’un malaise que, comme chrétiens, nous devons affronter.

Quand le peuple de Dieu se convertit à son amour, il trouve les réponses à ces questions que l’histoire lui pose continuellement. Un des défis les plus urgents sur lesquels je veux m’arrêter dans ce message, est celui de la mondialisation de l’indifférence.

L’indifférence envers son prochain et envers Dieu est une tentation réelle même pour nous, chrétiens. C’est pour cela que nous avons besoin d’entendre, lors de chaque Carême, le cri des prophètes qui haussent la voix et qui nous réveillent.

Dieu n’est pas indifférent au monde, mais il l’aime jusqu’à donner son Fils pour le salut de tout homme. Dans l’incarnation, dans la vie terrestre, dans la mort et la résurrection du Fils de Dieu, la porte entre Dieu et l’homme, entre ciel et terre, s’ouvre définitivement. Et l’Église est comme la main qui maintient ouverte cette porte grâce à la proclamation de la Parole, à la célébration des sacrements, au témoignage de la foi qui devient efficace dans la charité (cf. Ga 5, 6). Toutefois, le monde tend à s’enfermer sur lui-même et à fermer cette porte par laquelle Dieu entre dans le monde et le monde en lui. Ainsi, la main, qui est l’Église, ne doit jamais être surprise si elle est repoussée, écrasée et blessée.

C’est pourquoi, le peuple de Dieu a besoin de renouveau, pour ne pas devenir indifférent et se renfermer sur lui-même. Je voudrais vous proposer trois pistes à méditer pour ce renouveau.

1. « Si un seul membre souffre, tous les membres partagent sa souffrance » (1Co 12, 26) – L’Église

La charité de Dieu qui rompt ce mortel enfermement sur soi-même qu’est l’indifférence, nous est offerte par l’Église dans son enseignement et, surtout, dans son témoignage. Cependant, on ne peut témoigner que de ce que l’on a éprouvé auparavant. Le chrétien est celui qui permet à Dieu de le revêtir de sa bonté et de sa miséricorde, de le revêtir du Christ, pour devenir comme lui, serviteur de Dieu et des hommes. La liturgie du Jeudi Saint avec le rite du lavement des pieds nous le rappelle bien. Pierre ne voulait pas que Jésus lui lave les pieds, mais il a ensuite compris que Jésus ne veut pas être seulement un exemple de la manière dont nous devons nous laver les pieds les uns les autres. Ce service ne peut être rendu que par celui qui s’est d’abord laissé laver les pieds par le Christ. Seul celui-là a « part » avec lui (Jn 13, 8) et peut ainsi servir l’homme.

Le Carême est un temps propice pour nous laisser servir par le Christ et ainsi devenir comme lui. Cela advient quand nous écoutons la Parole de Dieu et quand nous recevons les sacrements, en particulier l’Eucharistie. Nous devenons en elle ce que nous recevons : le Corps du Christ. Dans ce corps, cette indifférence qui semble prendre si souvent le pouvoir sur nos cœurs, ne trouve pas de place. Puisque celui qui est du Christ appartient à un seul corps et en lui personne n’est indifférent à l’autre. « Si un seul membre souffre, tous les membres partagent sa souffrance ; si un membre est à l’honneur, tous partagent sa joie » (1 Co 12, 26).

L’Église est communio sanctorum parce que les saints y participent mais aussi parce qu’elle est communion de choses saintes : l’amour de Dieu révélé à nous dans le Christ et tous ses dons. Parmi eux, il y a aussi la réponse de tous ceux qui se laissent atteindre par un tel amour. Dans cette communion des saints et dans cette participation aux choses saintes personne n’a rien en propre, mais ce qu’il possède est pour tout le monde. Et puisque nous sommes liés en Dieu, nous pouvons faire quelque chose aussi pour ceux qui sont loin, pour ceux que nous ne pourrions jamais rejoindre par nos propres forces, parce que nous prions Dieu avec eux et pour eux afin que nous nous ouvrions tous à son œuvre de salut.

2. « Où est ton frère ? » (Gn 4, 9) – Les paroisses et les communautés

Il est nécessaire de traduire tout ce qui est dit par l’Église universelle dans la vie des paroisses et des communautés. Réussit-on dans ces réalités ecclésiales à faire l’expérience d’appartenir à un seul corps ? Un corps qui en même temps reçoit et partage tout ce que Dieu veut donner ? Un corps qui connaît et qui prend soin de ses membres les plus faibles, les plus pauvres et les plus petits ? Ou bien nous réfugions-nous dans un amour universel qui s’engage de loin dans le monde mais qui oublie le Lazare assis devant sa propre porte fermée ? (cf. Lc 16, 19-31).

Pour recevoir et faire fructifier pleinement ce que Dieu nous donne, il faut dépasser les frontières de l’Église visible dans deux directions.

En premier lieu, en nous unissant à l’Église du ciel dans la prière. Quand l’Église terrestre prie, s’instaure une communion de service réciproque et de bien qui parvient jusqu’en la présence de Dieu. Avec les saints qui ont trouvé leur plénitude en Dieu, nous faisons partie de cette communion dans laquelle l’indifférence est vaincue par l’amour. L’Église du ciel n’est pas triomphante parce qu’elle a tourné le dos aux souffrances du monde et se réjouit toute seule. Au contraire, les saints peuvent déjà contempler et jouir du fait que, avec la mort et la résurrection de Jésus, ils ont vaincu définitivement l’indifférence, la dureté du cœur et la haine. Tant que cette victoire de l’amour ne pénètre pas le monde entier, les saints marchent avec nous qui sommes encore pèlerins. Sainte Thérèse de Lisieux, docteur de l’Église, convaincue que la joie dans le ciel par la victoire de l’amour crucifié n’est pas complète tant qu’un seul homme sur la terre souffre et gémit, écrivait : « Je compte bien ne pas rester inactive au Ciel, mon désir est de travailler encore pour l’Église et les âmes » (Lettre 254, 14 juillet 1897).

Nous aussi, nous participons aux mérites et à la joie des saints et eux participent à notre lutte et à notre désir de paix et de réconciliation. Leur joie de la victoire du Christ ressuscité nous est un motif de force pour dépasser tant de formes d’indifférence et de dureté du cœur.

D’autre part, chaque communauté chrétienne est appelée à franchir le seuil qui la met en relation avec la société qui l’entoure, avec les pauvres et ceux qui sont loin. L’Église est, par nature, missionnaire, et elle n’est pas repliée sur elle-même, mais envoyée à tous les hommes.

Cette mission est le patient témoignage de celui qui veut porter au Père toute la réalité et chaque homme. La mission est ce que l’amour ne peut pas taire. L’Église suit Jésus Christ sur la route qui la conduit vers tout homme, jusqu’aux confins de la terre (cf. Ac 1,8). Nous pouvons ainsi voir dans notre prochain le frère et la sœur pour lesquels le Christ est mort et ressuscité. Tout ce que nous avons reçu, nous l’avons reçu aussi pour eux. Et pareillement, ce que ces frères possèdent est un don pour l’Église et pour l’humanité entière.

Chers frères et sœurs, je désire tant que les lieux où se manifeste l’Église, en particulier nos paroisses et nos communautés, deviennent des îles de miséricorde au milieu de la mer de l’indifférence !

3. « Tenez ferme » (Jc 5, 8) – Chaque fidèle

Même en tant qu’individu nous avons la tentation de l’indifférence. Nous sommes saturés de nouvelles et d’images bouleversantes qui nous racontent la souffrance humaine et nous sentons en même temps toute notre incapacité à intervenir. Que faire pour ne pas se laisser absorber par cette spirale de peur et d’impuissance ?

Tout d’abord, nous pouvons prier dans la communion de l’Église terrestre et céleste. Ne négligeons pas la force de la prière de tant de personnes ! L’initiative 24 heures pour le Seigneur, qui, j’espère, aura lieu dans toute l’Église, même au niveau diocésain, les 13 et 14 mars, veut montrer cette nécessité de la prière.

Ensuite, nous pouvons aider par des gestes de charité, rejoignant aussi bien ceux qui sont proches que ceux qui sont loin, grâce aux nombreux organismes de charité de l’Église. Le Carême est un temps propice pour montrer cet intérêt envers l’autre par un signe, même petit, mais concret, de notre participation à notre humanité commune.

Enfin, la souffrance de l’autre constitue un appel à la conversion parce que le besoin du frère me rappelle la fragilité de ma vie, ma dépendance envers Dieu et mes frères. Si nous demandons humblement la grâce de Dieu et que nous acceptons les limites de nos possibilités, alors nous aurons confiance dans les possibilités infinies que l’amour de Dieu a en réserve. Et nous pourrons résister à la tentation diabolique qui nous fait croire que nous pouvons nous sauver et sauver le monde tout seuls.

Pour dépasser l’indifférence et nos prétentions de toute-puissance, je voudrais demander à tous de vivre ce temps de Carême comme un parcours de formation du cœur, comme l’a dit Benoît XVI (cf. Lett. Enc. Deus caritas est, n. 31). Avoir un cœur miséricordieux ne veut pas dire avoir un cœur faible. Celui qui veut être miséricordieux a besoin d’un cœur fort, solide, fermé au tentateur, mais ouvert à Dieu. Un cœur qui se laisse pénétrer par l’Esprit et porter sur les voies de l’amour qui conduisent à nos frères et à nos sœurs. Au fond, un cœur pauvre, qui connaisse en fait ses propres pauvretés et qui se dépense pour l’autre.

Pour cela, chers frères et sœurs, je désire prier avec vous le Christ en ce Carême : « Fac cor nostrum secundum cor tuum » : « Rends notre cœur semblable au tien » (Litanies du Sacré Cœur de Jésus). Alors nous aurons un cœur fort et miséricordieux, vigilant et généreux, qui ne se laisse pas enfermer en lui-même et qui ne tombe pas dans le vertige de la mondialisation de l’indifférence.

Avec ce souhait, je vous assure de ma prière afin que chaque croyant et chaque communauté ecclésiale parcourt avec fruit le chemin du Carême, et je vous demande de prier pour moi. Que le Seigneur vous bénisse et que la Vierge Marie vous garde.

Du Vatican, le 4 octobre 2014

Fête de saint François d’Assise

François

Une Eglise pauvre pour les pauvres et le Pacte des Catacombes

Catacumbas

Le 16 novembre 1965, quarante pères participant au Concile Vatican II se rencontrèrent aux Catacombes de Domitille, à Rome, pour une célébration de l’Eucharistie. A cette occasion ils rédigèrent et signèrent un document qui porte le titre de “Pacte des Catacombes”, dans lequel ils s’engageaient à vivre un style de vie pauvre et à relancer une Eglise « servante et pauvre ». Aujourd’hui le Pape François rappelle à tous à nouveau la centralité d’une « Eglise pauvre pour les pauvres ». En effet, seulement une Eglise pauvre pourra marcher avec les pauvres, en devenant la voix de leurs droits niés. Cinquante ans après le Pacte des Catacombes, un groupe nombreux de religieux et de laïcs se sont rencontrés hier, dimanche le 16 novembre, à Rome, pour célébrer et pour faire mémoire de ce grand événement ecclésial.

Tandis que le Concile tendait vers sa fin, le 16 novembre 1965, quarante pères conciliaires se donnèrent rendez-vous aux Catacombes de Domitille, à Rome, pour une célébration de l’Eucharistie et préparèrent un document qui marqua une étape importante dans la vie de l’Eglise.

Dans ce texte qui a pour titre « Le Pacte des Catacombes de Domitille », les pasteurs s’engageaient à vivre un style de vie pauvre et à relancer une Eglise servante des pauvres. Le document, avec une lucidité remarquable, touchait les thèmes les plus chauds du moment, qui continuent à être actuels, même s’il manque des points plus récents, tels que l’écologie et la globalisation et de la guerre et du terrorisme.

Pour célébrer les 50 ans de cet événement et de ce document, des dizaines de religieux, de religieuses et de chrétiens engagés, invités par des responsables de « Justice et Paix » des Instituts religieux, se sont retrouvés aux Catacombes de Domitille pour une célébration liturgique qui a duré deux heures. Dans un climat de prière et de réflexion, le Pacte a été lu devant tout le monde et puis repris en petits groupes qui, dans les différentes langues, l’ont approfondi, en présentant des suggestions concrètes à réaliser dans la communauté religieuse de chacun.

Les organisateurs ont manifesté leur satisfaction et ils ont reconnu que la réponse et la participation a été bien plus nombreuse que ce qui était prévu.

Éléments de la spiritualité combonienne

Comboni

Nous sommes en train de célébrer les 150 ans du Plan de saint Daniel Comboni. Le texte du plan a eu plus d’une édition. Notre réflexion portera sur la 4ème édition, éditée à Vérone par la Typographie Episcopale de A. Merlo. Le titre est “Plan pour la régénération de l’Afrique proposé par l’Abbé Daniel Comboni missionnaire apostolique de l’Afrique centrale, Supérieur des instituts des noirs en Egypte”.

ELEMENTS DE LA SPIRITUALITE COMBONIENNE QUI EMERGENT DU PLAN POUR LA REGENERATION DE LA NIGRIZIA

Introduction
La première question que nous nous posons est si c’est plus convenable appeler le texte de Comboni plan ou projet. Même si la parole hébraïque qui rend cette réalité est constamment traduite par projet, plan ou dessein, la question mérite d’être posée. La parole grecque qui est traduite par “projet” donne l’idée de mouvement. La notion de plan implique l’idée de quelque chose de statique, au contraire “le projet” implique “dynamicité”. Le plan normalement est une élaboration froide, sans aucune implication subjective, sans cœur; le projet est vécu du dedans, avec une charge subjective forte, tel est le cas du texte que saint Daniel Comboni présente à l’Eglise. Il y a l’implication du cœur de Comboni dans le texte du plan; pour cela, il est peut-être plus convenable de parler de “projet pour la Régénération de la Nigrizia”. Saint Daniel Comboni vit l’œuvre de la Régénération de la Nigrizia de l’intérieur (c’est l’image du Potier) avant d’arriver à ses implications pratiques. Dans ces lignes qui suivent, nous continuerons à appeler le texte de Comboni, plan, par respect à la mémoire de notre Père fondateur, mais sans oublier son aspect dynamique, cette dynamicité qui nait de la contemplation du Cœur du Christ Bon Pasteur, source de sa mission.

L’expérience charismatique à Saint Pierre, lors de la canonisation de sainte Marguerite Marie Alacoque a été le moment fondant de ce plan, mais il n’est pas l’unique, comme bien le souligne le Père Général: “Le Plan n’est pas un texte, mais la vie cachée dans les paroles, les pensées, les intuitions, les rêves et les désirs qui ont été le moteur capable de mouvoir les mains de saint Daniel Comboni afin de nous laisser des traces de ce que l’Esprit Saint voulait révéler et donc qui va bien au-delà des idées et des stratégies qui deviendront la réponse au cri qui monte aux oreilles de Dieu pour susciter sa miséricorde” (Le Plan de saint Daniel Comboni, Lettre du Supérieur Général, janvier 2014).

Nous pouvons dire que le plan découle d’une spiritualité “pied à terre”, faite d’études et de recherche, d’une part, d’autre part, de l’expérience de l’amour de Dieu faite par Comboni et qu’il traduit dans un texte au bénéfice de ses frères et sœurs africains.

Notre contribution est divisée en cinq points: 1. Un plan né d’un regard différent. 2. Un plan qui rime avec l’indignation. 3. Un plan à réaliser à plusieurs mains. 4. Un plan avec une touche de genre. 5. Un plan à payer avec sa propre vie.

1. Un plan né d’un regard différent

Le catholique, habitué à juger des choses par les lumières qui viennent d’en haut, considère l’Afrique, non point à travers le prisme des intérêts humains, mais suivant la pure clarté de sa Foi. Il découvre, dans ces contrées, un nombre infini de frères appartenant à sa propre famille, ayant un Père commun dans le Ciel, des hommes courbés et gémissant sous le joug de Satan, placés sur le bord du plus affreux précipice. Transporté alors par un mouvement de cette charité allumée par une divine flamme sur le sommet du Golgotha, sortie du côté du Crucifié pour embrasser toute la famille humaine, il sent redoubler les battements de son cœur, et il lui semble qu’une impulsion céleste le pousse vers ces régions hostiles pour y étreindre entre ses bras ces malheureux frères sur lesquels pèse encore la malédiction de Cham, et pour donner à tous un baiser de paix et d’amour” (E 2742).

Le numéro le plus dense et qui fonde tout et qui constitue le fondement en absolu de tout le reste du texte est le n° 2742 “le catholique, habitué à juger des choses par les lumières qui viennent d’en haut…”. Comboni est ce catholique qui, à force de juger toujours à partir des inspirations divines, a pris une habitude qui l’amène à regarder l’Afrique non pas à partir des intérêts humains mais à découvrir des frères qui ont le même Père que lui et auxquels il faut apporter la Bonne Nouvelle du Salut. Evidemment pour juger d’en haut, il faut naître d’en haut (Jn 3); naître d’en haut est un don de Dieu, mais exige aussi une ascèse (effort). La source de ce regard différent sur l’Africain, considéré frère appartenant à sa propre famille, qu’il veut étreindre dans ses bras en lui donnant le baiser de la paix et d’amour, est la charité allumée par une divine flamme sur le Golgotha, sortie du Côté du Crucifié. L’expérience de l’amour du crucifié est le moteur de l’élan missionnaire de saint Daniel Comboni, qui le pousse vers cette périphérie, l’Afrique, vue par les autres sous les prismes des intérêts humains. L’expérience de foi, qui lui change le regard sur l’africain, l’expérience de la charité divine qui le pousse vers ces “contrées désolées” et “régions hostiles” sont finalement source de sa confiance en l’homme africain qu’il associe comme protagoniste à l’œuvre de la régénération de l’Afrique, “convertir l’Afrique par elle-même”. Aujourd’hui, dans nos communautés, dans nos missions, ce regard de foi sur les événements, les personnes et l’expérience de l’amour du Crucifié, qui n’est jamais séparé de l’amour du prochain est un élément important pour la construction d’une fraternité et confraternité qui va au-delà de la couleur de la peau, de l’ethnie, de la provenance provinciale etc. Le plan naît de la foi qui opère par la charité en vue de la libération de l’homme africain. “Notre Œuvre est fondée sur la Foi. C’est un langage que peu de gens comprennent, même les bons qui sont sur cette terre. Mais les Saints l’ont compris, et ils sont les seuls que nous devons imiter” (E 6933).

Le plan a un centre spirituel, le Cœur de Jésus, des centres physiques, les établissements sur les côtes africaines où seront préparés les évangélisateurs et évangélisatrices, dans une vie d’ensemble entre africains et européens (cf. E 2764), et qui iront vers le Centre de l’Afrique.

“Nous pouvons dire que le plan découle d’une spiritualité “pied à terre”, faite d’études et de recherche, d’une part, d’autre part, de l’expérience de l’amour de Dieu faite par Comboni et qu’il traduit dans un texte au bénéfice de ses frères et sœurs africains.”

2. Un plan qui rime avec l’indignation

150 ComboniTout pieux et fidèle catholique, enflammé par la charité de Jésus-Christ, s’attriste et se désole en voyant, peut-être pour de nombreux siècles, suspendue l’œuvre de l’Eglise au profit de ces millions d’âmes encore plongées dans les ténèbres et dans l’ombre de la mort. C’est pour cela que, pour soutenir l’élan de cette vertu surhumaine, et pour faire disparaître pour toujours de l’esprit du catholique la triste idée d’abandonner dans l’infidélité et dans l’état de nature ces régions vastes et très peuplées qui sont sans aucun doute les plus nécessiteuses et les plus abandonnées du monde, il faut quitter le chemin qui a été suivi jusqu’à présent, en changeant l’ancien système et concevoir un nouveau plan qui soit plus efficace pour atteindre le but visé” (E 2752).

Le plan naît de l’indignation qu’a provoquée en Comboni l’état d’abandon dans lequel se trouvait l’Afrique du point de vue de la foi, mais aussi du développement sur le plan humain. Comboni est ce pieux catholique, enflammé par la charité de Jésus Christ, qui s’attriste et se désole devant la situation de l’Afrique; en bref il s’indigne “on nous pardonnera si l’impétuosité de notre cœur, où résonne le cri de détresse qu’élèvent vers nous tous ces malheureux fils d’Adam, qui sont nos frères, nous pousse hors du chemin de la vérité et de la certitude” (E 2754). Une indignation qui le met en marche à la recherche d’un chemin pour l’évangélisation de l’Afrique, sans peur de se tromper, sans une certitude absolue; même s’il se trompe, il sera pardonné. La peur de se tromper paralyse l’action évangélisatrice et nous ferme en nous-mêmes, en limitant notre audace d’aller à la recherche de nouveaux chemins. Je préfère, dit le Pape François “une Eglise accidentée, blessée et sale pour être sortie par les chemins, plutôt qu’une malade de la fermeture et du confort de s’accrocher à ses propres sécurités” (EG 49).

Dieu lui-même s’indigne devant toute forme de non dignité de la personne humaine “j’ai vu, j’ai vu la misère de mon peuple qui est en Egypte. J’ai entendu son cri devant ses oppresseurs; oui je connais ses angoisses” (Ex 3,7). C’est l’indignation de Jésus devant les multitudes prostrées comme des brebis sans Pasteurs. Comme toute vraie indignation, qui nait d’une contemplation, l’indignation de Comboni n’est pas restée stérile. L’indignation de Comboni l’a amené à la compassion et à l’action. Une action qui se caractérise par un partage intime de vie avec l’Afrique “L’Afrique et les pauvres Noirs ont conquis mon cœur qui ne vit que pour eux, en particulier depuis que le Représentant de Jésus Christ, le Saint-Père, m’a encouragé à travailler pour l’Afrique” (E 941).

Beaucoup de nos indignations devant les horreurs du monde restent stériles car en même temps que nous condamnons les situations de guerre qui sont dans le monde, nous reproduisons dans nos communautés et dans nos missions les mêmes mécanismes de guerre entre nous, même si à une échelle mineure. “À l’intérieur du Peuple de Dieu et dans les diverses communautés, que de guerres… La mondanité spirituelle porte certains chrétiens à être en guerre contre d’autres chrétiens qui font obstacle à leur recherche de pouvoir, de prestige, de plaisir ou de sécurité économique” (EG 98).

En plus de cela, notre indignation reste stérile quand nous nous indignons devant la pauvreté extrême dans laquelle se trouvent des milliers de nos contemporains, mais nous sommes incapables de petits sacrifices que la mission nous demande. Nous pensons en ce moment à certains missionnaires qui conditionnent leur affectation à la présence des moyens technologiques ou non, par exemple l’internet, dans les endroits où ils seront affectés. Quand il y a passion pour la mission, et la compassion pour les gens, le reste est superflu.

3. Un plan à réaliser à plusieurs mains

Familia Comboniana“L’œuvre doit être catholique et non pas espagnole, ni française, ni allemande ni italienne. Tous les catholiques doivent aider les pauvre s Noirs, car une seule nation n’arrive pas à secourir la race noire” (E 944)

Dans le plan apparaît clairement cette dimension de la collaboration. L’appel à la collaboration pour l’œuvre de la régénération de l’Afrique vient de la conscience que saint Daniel Comboni a du fait que l’œuvre est de Dieu et qu’elle n’est pas une affaire personnelle, c’est une affaire de l’Eglise “Du moment que l’œuvre que j’ai entre les mains est une œuvre qui appartient totalement à Dieu, c’est avec Lui qu’il faut traiter chaque affaire, petite ou grande, concernant la Mission” (E 3615).

Cette collaboration se fait présente au moment de la formation des évangélisateurs et évangélisatrices. Tout en valorisant les richesses charismatiques de chaque institut religieux dans la formation des africains et africaines, saint Daniel Comboni indique ce qui ne doit pas manquer dans le cheminement formatif. Le premier en la liste: l’esprit de Jésus Christ (cf. E 2770); il s’agit d’établir solidement dans leur cœur (le cœur de ceux que l’on forme: hommes et femmes) l’esprit de Jésus Christ.

Qu’est-ce que Comboni veut dire par l’esprit de Jésus Christ? Dans la vie de Jésus Christ deux éléments sont fondants: l’expérience de Dieu comme Père (Abba) et l’expérience du Royaume. Enraciner l’esprit de Jésus Christ dans le cœur des évangélisateurs et évangélisatrices, signifie les amener à faire l’expérience de Dieu comme Père; c’est-à-dire les aider à faire l’expérience du christianisme non pas comme un ensemble de lois, comme une idée, mais comme une rencontre, la rencontre avec la personne de Jésus (cf. Deus Caritas est, 1). C’est l’unique manière de développer en eux la liberté des enfants de Dieu contre toute peur d’esprits qui paralysent la croissance humaine, spirituelle et sociale.

L’autre élément est développer dans les africains la passion pour l’annonce du Règne de Dieu, qui est Règne d’amour, de paix, de justice et de miséricorde. L’unique manière pour dissiper les épaisses ténèbres qui couvraient la vaste étendue de l’Afrique Centrale (E 2741).

Un troisième élément qui caractérise l’esprit de Jésus est l’humilité : “de riche qu’il était, il s’est fait pauvre pour nous enrichir” (cf. 2Cor 8,9).

4. Un plan avec une touche de genre

Le plan que nous proposons consiste donc à créer des établissements des deux sexes, qui devraient encercler toute l’Afrique, placés dans les endroits les plus convenables, aussi rapprochés que possible de l’intérieur de la Nigrizia, pourvu qu’on y jouisse d’une sécurité suffisante, et qu’on y trouve quelques germes de civilisation, pour que les Européens et les Africains puissent y vivre et travailler” (E 2764).

La valorisation de la femme dans l’œuvre de l’évangélisation de la part de saint Daniel Comboni n’est pas seulement une option stratégique dans le sens que les femmes résisteraient plus au climat ardu de l’Afrique (parlant des européennes) ou entreraient plus facilement dans certaines ambiances hostiles au christianisme. La valorisation de la figure féminine dans son plan pour la régénération de la Nigrizia est une option de vie. C’est une des retombées de ce regard contemplatif sur la réalité, pour ceux qui sont en Jésus Christ, il n’est plus question de grec ou de juif; de circoncis ou d’incirconcis… de femme ou d’homme, il n y a que Christ, qui est tout et en tout (cf. Col 3,9-11). En cela s’explique aussi la dévotion que saint Daniel Comboni avait pour la Vierge Marie. A côté du titre “Vierge de la Nigrizia”, nous retrouvons dans ses Ecrits, plusieurs titres avec lesquels Comboni se réfère à la Mère de Dieu. Un de nos confrères a même préparé une Litanie à partir des titres utilisés par Comboni pour s’adresser à Marie.

Saint Daniel Comboni est en syntonie avec ce patrimoine de la grande tradition catholique: loin de tout dévotionisme, Marie est le cœur de l’Eglise. Dans l’Eglise, disait von Balthasar, Marie a un poste plus élevé que celui de Pierre et dans l’Evangelii gaudium, le Pape François dit que Marie est plus importante que les évêques. Il faut donc réévaluer ce composant féminin dans l’Eglise en équilibre avec celui masculin pour ne pas tomber, d’une part, dans le machisme et dans le cléricalisme, d’autre part, dans le féminisme exaspéré ou tout simplement en certaines théories du genre qui font tant de mal à l’humanité. Dans la vie de saint Daniel, il y a eu cet équilibre: à côté de la Vierge Marie, il y a saint Joseph, son époux. Et dans son caractère, nous pouvons dire, ces deux éléments s’entrecroisent; Comboni est capable de se défendre avec virilité quand il est calomnié et de rendre la vérité aux faits avec des paroles quelque fois très dures, mais en même temps il est capable de pardonner jusqu’au fond celui qui l’accuse faussement. Il combine la force à l’élément de la miséricorde, de la compassion et de la tendresse, éléments typiquement féminins. Ce n’est pas par hasard que la Commission qui a la charge d’exécuter le plan s’appelle “Société des Sacrés Cœurs de Jésus et de Marie pour la Régénération de la Nigrizia, sous le patronage de la Vierge Marie, de Saint Joseph, son époux, et des Princes des Apôtres”.

5. Un plan à payer avec sa propre vie

Comboni y la Virgen“Notre pensée s’est fixée sur cette grande idée; et la régénération de l’Afrique par l’Afrique elle-même, nous a paru être le seul Programme à suivre pour réaliser une conquête si éclatante. C’est pourquoi, malgré notre petitesse, il nous a semblé juste de suggérer humblement un chemin qui pourrait arriver, plus probablement, jusqu’au but vers lequel toutes les pensées de notre vie se sont toujours dirigées et pour lequel nous serions heureux de verser notre sang jusqu’à la dernière goutte” (E 2753).

Il existe une relation étroite entre le plan élaboré par saint Daniel Comboni et sa vie concrète. Toutes ses pensées sont dirigées vers le plan, pour lequel il sera disposé à donner son sang jusqu’à la dernière goutte. C’est l’image du Bon Pasteur qui est venu afin que tous aient la vie et l’aient en abondance (cf. Jn 10,10). Cette affirmation de la part de Comboni n’est pas de la rhétorique. Saint Daniel Comboni, le 10 octobre 1881, mourra à Khartoum, comme sommet d’une vie totalement dédiée à l’Afrique et aux Africains. Derrière le plan de Comboni, il y a des noms, des prénoms, des visages d’africains et africaines pour lesquels Comboni donne sa vie. Nous pouvons dire que ce que le Pape François dit à l’égard des pasteurs de l’Eglise est totalement vrai dans le cas de saint Daniel Comboni, on peut sentir l’odeur des africains sur les vêtements de l’infatigable missionnaire de l’Afrique. Saint Daniel Comboni nous enseigne donc que pour qu’un plan pastoral, un projet communautaire, puisse sortir du papier, dans son élaboration, il faut y mettre du cœur, de l’amour, en ayant conscience que derrière ce plan il y a des milliers de vies qui attendent leur régénération spirituelle et humaine et, en même temps, il faut être disposé à donner sa contribution, à donner son sang pour la réalisation de ce dernier. Pourquoi parfois nos plans pastoraux ne sortent pas du papier? Peut-être parce qu’il n’y a pas cette implication affective et effective avec les gens et le plan devient un papier en plus ou parce que nous ne sommes pas disposés à donner quelque goutte de sang pour sa réalisation, énergie, temps etc.

Conclusion

A la fin de cette brève réflexion, nous pouvons dire que pour comprendre le plan, il faut entrer en dialogue profond avec l’auteur du plan, saint Daniel Comboni, avec sa vie et l’ensemble de son œuvre. Il faut découvrir l’esprit qui anime le plan au-delà des pauvres paroles qui le traduisent, pour ne pas se perdre dans des débats stériles, tels que par exemple “fils de Cham” et d’autres de ce type.

Salvar Africa con Africa

Le plan traduit la passion de saint Daniel Comboni pour l’Afrique, sa préoccupation pour conquérir la perle noire à l’Eglise de Jésus Christ. Le plan est né d’une vision de foi qui pousse à l’indignation-compassion-action devant la situation d’abandon dans laquelle se trouvait l’Afrique. Saint Daniel Comboni a compris que l’évangélisation de l’Afrique n’est pas une affaire personnelle, mais une affaire d’Eglise. Il a cherché confrontation et dialogue avec le pape, le préfet de Propaganda Fide et des personnalités liées à l’expérience africaine, bref il a cherché collaboration en impliquant étroitement la figure féminine. Pour l’élaboration et l’exécution du plan, saint Daniel Comboni a donné sa vie, car derrière le plan, il a compris qu’il y a une multitude de vies, une multitude de frères et sœurs qui attendent le Message de la régénération.

Septembre 2014

P. Fidèle Katsan, mccj